Selon Telerama, un "sous texte politique douteux" alimenterait le récit de The Dark Knight Rises, le dernier film de Christopher Nolan, sorti dans les salles françaises le 25 juillet 2012. L'hebdomadaire a-t-il raison de qualifier le réalisateur de "réac" ?
Par l'auteur du site Bobo libéral.
Il n'est pas dans mes habitudes de vouloir à tout prix extirper au forceps un message politique dans une œuvre populaire. Libre à chacun d'en faire sa propre lecture. Et d'ailleurs, en reprenant Tolkien, ce qui détermine la qualité d'un récit n'est pas de dominer le spectateur/lecteur par une allégorie marquée au fer rouge, mais au contraire de pouvoir y exercer en toute liberté son propre imaginaire. Toutefois, après la critique de Telerema de The Dark Knight Rises, j'ai quand même voulu rentrer dans l’arène des interprétations politiques et philosophiques, histoire de me confronter au journal populiste du socialo-bobo des centre-villes. Et pour le coup je vais me faire plaisir. Mais attention nulle référence au drame qui a marqué le lancement du film ; ce serait hors de propos et indécent. Je préviens aussi le lecteur que ce que je vais écrire par la suite dévoile des éléments clefs de l'intrigue.
Selon Telerama, un "sous texte politique douteux" alimenterait le récit, ce qui a valu à Nolan, le réalisateur, d’après la démonologie gauchiste du journal, le titre de réac'. On lui reproche "son culte d'un État policier droit dans ses bottes", issu d'une "obsession sécuritaire inhérente à la BD d'origine", mais, pire encore, une représentation des Indignés peu glorieuse dépeinte comme une "foule déchaînée, effrayante, prête à acclamer le premier forcené venu pourvu qu'il prône le partage des richesses". Alors que l'on sait les Indignés les héros des temps modernes pour ce journal bien pensant.
Le reproche de magnifier l’État policier est de mauvaise foi. Il nous est plutôt dépeint souvent comme inefficace, corrompu, à peine distinguable des organisations criminelles qu'il combat. Il fonde son succès par un mensonge ; les crimes d'Harvey Dent, l'ancien procureur et héros de Gotham, sont portés par Batman pour ne pas entacher l'image de ce chevalier blanc. Mais cette stratégie montre ses limites, et se révèle désastreuse quand l'imposture est dévoilée en plein jour. Le mensonge ne paie pas ! Le prometteur sergent Blake, prénommé Robin, quitte la police, écœuré par ses méthodes et suit les traces de son idole. On ne peut pas dire que cet État policier est représenté comme droit dans ses bottes ; il y est plutôt vacillant, embourbé dans une fange de corruption inexpugnable. Et Nolan ne semble pas atteint d'une obsession sécuritaire où il verrait la force comme l'ultime recours. Il questionne sans cesse les buts de Batman, qui tente de pallier les déficiences de cet État. Aussi bien notre héros que la police s’interrogent sur les limites de leurs actions et la légitimité morale de leurs moyens. C'est en fait un thème qui sous-tend l'ensemble des trois films. Comment faire respecter le droit et la justice ?
Ce que réprouve Telerama, ou n'apprécie guère, c'est l'usage de la force pour faire respecter ce Droit (du moins en filigrane). J'imagine bien que pour le journal, la force n'a de légitimité que quand elle est dans les mains des opprimés et des sans-grades qui, dans un élan romantique révolutionnaire, veulent mettre à bas l'oppressant système capitaliste. Et c'est d'ailleurs la deuxième remontrance faite au film par Telerama.
Non pas que Christopher Nolan, soucieux d'ancrer son film dans le réel, par authenticité, nous montre Gotham non plus comme Chicago, mais comme New-York, la Mecque de la finance. La crise est passée par là. Il dénote le contraste entre la classe riche des financiers et la misère de la majorité. Déséquilibre qui selon Selina Kyle, alias Catwoman, incarnée par Anne Hathaway, mènera à la tempête, dont on imagine des lendemains chantants lugubres. Nolan n'accuse personne et ne fait que poser le décor.
Mais ce qui agace Telerama (jusque-là il devait être plutôt d'accord), c'est quand Nolan filme cette fameuse tempête comme une simagrée de révolution, menée par un effroyable personnage, Bane, à la tête de mercenaires fanatiques, aux allures de Guevaristes endiablés, et qui clairement, mais implicitement, proclame l'abolition des droits de propriétés privées. On assiste à des scènes de pillages et d'expropriations, mais aussi à l'établissement d'un tribunal populaire aux jugements expéditifs, dont la mise en scène m'a rappelé l'adaptation du Procès d'Orson Welles et dont l'absurdité m'a évoqué celle de Brazil de Terry Gilliam. Au sommet d'une pile de paperasserie trône le psychiatre Jonathan Crane, qui se délecte de son rôle de juge et qui ne se prive pas de rappeler qu'il prononce ses jugements, ni au nom de Bane, ni au nom de quiconque, mais uniquement au nom du peuple. On comprend mieux l’exaspération du journal devant cette critique à peine voilée des idéologies collectivistes.
Et Nolan en rajoute une couche. Cette fièvre révolutionnaire, aux spasmes meurtriers, est doublée d'un nihilisme profond, marque de notre époque. Car pour Bane, nulle utopie en vue, aucun paradis sur terre à réaliser, il a le mérite de ne pas être dupe. Il poursuit le but de la League of Shadows de purifier le monde de cette scorie, qu'est Gotham, comme elle l'avait faite pour Rome par le passé. Le monde renaîtra de ses cendres, et le cycle recommencera jusqu'à la prochaine purification. Nul espoir pour le genre humain, condamné à répéter les erreurs du passé et à ne jamais sortir de ses vilaines ornières ; à l'exception des membres de la League of Shadows, qui eux seuls, en bons millénaristes, sont les élus initiés d'un savoir inaccessible au commun des mortels et qui rétabliront la balance des choses par une nouvelle purification massive. Cela résonne avec notre époque, où l'homme semble être condamné pour beaucoup à rester un loup pour lui-même, et trop souvent devant cette impasse morale, qui n'offre aucune perspective réjouissante, la destruction serait la seule issue envisageable.
Bane, cette masse de muscle, devient alors l'incarnation de la force et de la violence, brute et crue, seule véritable agent de la coercition et du pouvoir, et non pas l'argent, comme on aime trop à le croire. C'est ce qu'apprend au prix de sa vie Dagget, un financier véreux qui croyait avoir autorité par sa fortune sur le méchant du film.
Voilà pour les exégèses.
Plus généralement, j'ai trouvé la réalisation du film bonne, et là où je suis d'accord avec Telerama, c'est que Nolan a le don d'alterner scènes d'actions de grandes envergures - la première scène est époustouflante - et scènes plus intimistes. Toutefois je trouve qu'il n'a pas su réitérer l'exploit du précédent opus, où cette alternance se faisait sans anicroche, avec harmonie, et qui avait rendu ce film si singulier. Dans ce troisième volet, et probablement le dernier, il y a comme une dissonance qui se dégage. Nolan s'est contenté de faire du Nolan a minima. La succession des scènes est plus chaotique et moins fluide. Et l'ensemble au final est paradoxalement trop lisse et trop carré.
Et enfin, dernier point, on peut à nouveau se délecter de cette sempiternelle odyssée, que l'on retrouve dans les films américains, et qui fait écho à l'optimisme de ce peuple, où notre héros, broyé, écrasé, n'abandonne pas, et retrouve l’énergie nécessaire et l'espoir pour se surpasser et accomplir sa quête. Toute cela baigné, culture chrétienne oblige, dans une atmosphère de repentance, Gotham doit expier pour ses péchés, Bruce Wayne souffrir, symbolisée pour ma part par ce sigle enflammé de Batman, visible par tous, sur la façade d'un pont, signalant son retour (sa résurrection) et qui m'a fait furieusement penser au christ sur la croix (je force un peu : plaisir personnel de l'interprétation).
Mais on se doute bien que notre héros aux oreilles de chauve-souris, après s'être fait déplacer une vertèbre par Bane et jeter dans une fosse, ne va pas tendre l'autre joue, au grand dam de Telerama.
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