Titre original : O vôo da guara vermelha
(Brésil), 2005
"Les faims et les envies du corps, il y a beaucoup de façons d'en prendre soin car depuis toujours
vivre, c'est ça, mais maintenant, de plus en plus, c'est une faim de l'âme qui tourmente Rosalio, au fond de lui, une faim de mots, de sentiments et de gens, une faim qui est comme une
solitude entière, une obscurité dans le creux de la poitrine, une cécité aux yeux grands ouverts, voyant tout ce que l'on peut voir ici, pas un être vivant, pas une fourmi, une odeur de
néant, les murs de planches sèches et grises, les monticules de gravier et de sable, gris, l'énorme ossature en béton armé, sans couleurs, les édifices interdisant tout horizon, un plafond
lourd, gris et bas, touchant le haut des immeubles, chape de nuages de plomb immobiles, qui ne dessinent ni oiseaux, ni brebis, ni lézards, ni têtes de géant, n'apportent aucun message, et
c'est tout ce qu'il y a à voir, sans distinguer ni levant, ni couchant, ni matin ni soir, tout réellement présent, si proche que le regard y bute et revient, limité, sans pouvoir s'étendre
plus loin, ni vers l'extérieur ni vers l'intérieur, s'agitant comme un petit oiseau qu'on vient de mettre en cage, se noyant, cécité." (Incipit, p.
13).
Cette première phrase, très longue, annonce la couleur, ou plutôt les couleurs déclinées en toutes lettres tout au long de ce roman dont les mots coulent,
harmonieusement :
Irène n'est plus que l'ombre d'elle-même, son corps décharné trahissant le sida qui poursuit son oeuvre, prostituée vieillie trop vite par l'absence d'espoir. Un jour, elle fait monter avec
elle un jeune manoeuvre aux yeux verts, Rosalio, qui s'avère ne pas avoir un sou en poche, mais des histoires plein la tête, emportant partout avec lui un coffre rempli de livres qu'il ne
peut lire. Avec ses récits, il la transporte loin de cette vie. Elle, telle Shéhérazade, lui lit ces caractères indéchiffrables sur les pages et lui apprend à écrire. A eux deux, ils vont
rendre leur vie plus supportable...
Dans un style musical qui nous emporte dès ses premières notes, comme une mélopée douce-amère, Maria Valéria Rezende nous transporte dans les favelas du Brésil, dans les pensées et le
parcours hasardeux de deux laissés pour compte, entremêlés aux répertoires populaire ou culturel (Don Quichotte, Les Mille et une nuits). Exceptée l'une des dernières
histoires un peu simplette, c'est là un roman particulier, à la fois dur et tendre, entre réalité et fantaisie, dont on sort un peu comme d'un rêve éveillé.
REZENDE, Maria Valéria. – Le vol de l'ibis rouge / trad. du brésilien par Leonor
Baldaque. – Métailié, 2008. – 183 p.. – ISBN 978-2-86424-646-6 : 18 €.