Magazine Culture

[note de lecture] "Etrennes à Strenia" de Philippe Blanchon, par René Noël

Par Florence Trocmé

Avenir de l'adieu 

Blanchon
Strenia déesse de la bonne santé méritait sans doute que d'aucun parmi tous et personne se rappelle à ses bons souvenirs ! Quelles meilleures offrandes que quelques poèmes pour la remercier sans arrière-pensées !? D'un livret, aussi modeste par la taille, élégant par le soin apporté à son édition, que précieux quant à son contenu, qui se glissera parfaitement aux côtés d'un élixir de vie de notre choix en ces heures chaudes d'été, Philippe Blanchon livre six poèmes qui se tiennent à distance de deux continents (p.16). Nés du monde perçu quotidiennement redevenu tout à coup neuf, le paradis est un port (p. 7), ils éveillent l'espace de la mémoire du scribe-poète partagée entre l'espace lyrique de certains de ses précédents recueils (Le Reliquat de santé, Janvier, 47 poèmes...) et les lieux des épopées qu'il crée, "par ailleurs" (La nuit jetée, Le Livre de Martin...). Le son la vue matérialisent une absence de définition (p. 7) de la poésie, poésie qu'il désigne par Toi. Toi, soit tous les (im-)possibles, sa vie de poète, les événements vécus, l'amour, les amitiés, proches & toutes les actions et les faits observables sur terre, dans l'univers.  
 
Partant, le poème / ne veut contenir d'objet. Il n'a d'autre destination et relation que lui-même, de ce vide le son le souffle (p. 16). Les Étrennes disent au poète et à ses lecteurs que la poésie tient son mystère de se vivre à la fois évidente et invisible, insensible et concrète, sans que l'une de ces conditions prenne le pas sur l'autre. Si bien que, pas plus que le langage seul ne peut la manifester, la volonté exclusive du poète, qui prétendrait disposer de la poésie selon son bon plaisir sans recourir aux réalités extérieures, n'en est la créatrice souveraine.  
 
Ainsi ces poèmes se présentent ils à la croisée de trois voies. Faits de mots, d'intuitions immatérielles senties, d'humanités trouvant et recevant leurs données. Étrennes à Strenia incarne à la fois toutes ces voies et se tient aux larges de chacune d'entre-elles sans jamais devoir se confondre avec aucun des trois chemins. Tantôt réel aussi tangible et solide que les villes écrites dans les recueils antérieurs, tantôt dissolutions, mirages sous la pluie de futurs déluges. Où l'imagination radicale et la vie reçue, hasardée par chacun, font lit commun : dirai-je la pluie après avoir dit la ville... sous le soleil tout est imaginaire / mais l'étoile fixe alors que la pluie étiole / rien ne saurait mieux incarner notre retrait / qui avions aimé les rayons de cette liberté / l'unique aussi gratuits que nous sommes /  ce qui la pluie dit : l'ambivalence absolue. Une énigme qu'autant les poètes mis en exergue par P. Blanchon (Niedecker, Zukofsky, Oppen...) que ceux non cités, proches de ses inflexions (Stevens...) nomment, formant un nuancier d'existences qui affirme que la vie de chacun d'entre nous incarne une nécessité. Chacun amateur (ou non) de poésie ayant lui aussi fait cette expérience que le poète nous livre ici, soit le secret de la poésie telle qu'il la vit lui-même. 
 
Chaque poème, chaque vers, incisif, ciselé avec sa part d'inarticulé frappée au coin du bon, - de tous - sens, les pieds martiaux martelant (p. 15), peut bien signer un adieu à la poésie, sans qu'aucune nostalgie, aucun exil, aucune atteinte à celle-ci ne s'incarnent. Cet adieu écrit le poète dans chaque mot de ce recueil, est une des conditions inouïe des formes à venir de la vie imprévisible. Participant de ce paradis où nous allons, malgré, depuis l'aube des temps. 
 
[René Noël] 
 
Philippe Blanchon, Étrennes à Strenia, éd. La Termitière, 2012 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines