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Mozart et Onslow enchantés : le Quatuor Ruggieri en concert aux Douves d'Onzain

Publié le 08 août 2012 par Jeanchristophepucek
quatuor ruggieri

Quatuor Ruggieri, Église d’Onzain (Loir-et-Cher), 5 août 2012

centre musique romantique francaise palazzetto bru zane
Il pleuvait. Le concert du Quatuor Ruggieri, programmé dans le cadre de l’Été musical des Douves d’Onzain en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane, n’a donc pas eu lieu, comme il est de coutume lors de cette manifestation, sur la terrasse que hante le souvenir de l’ancien château dont presque rien ne subsiste, mais sous les voûtes de la toute proche église. La curiosité aiguillonnée par quelques extraits diffusés sur Internet et par la confiance accordée par l’institution vénitienne à un jeune ensemble, bien que constitué de musiciens expérimentés, on avait hâte de le découvrir en direct, d’autant que le programme qu’il proposait sortait très heureusement des sentiers battus.

Si on connaît généralement bien Die Zauberflöte (La Flûte enchantée), avant-dernier opéra de Mozart créé à Vienne le 30 septembre 1791, soit deux mois avant sa mort, on ignore généralement qu’il ne fut connu en France jusqu’en 1827 que sous la forme d’une adaptation d’Étienne Morel de Chefdeville (1747-1814) pour le livret et Ludwig Wenzel (alias Louis-Wenceslas, ce Praguois de naissance s’étant installé en France dans les années 1780) Lachnith (1746-1820) pour la musique, intitulée Les Mystères d’Isis et décriée pour son infidélité à l’original jusqu’à être affublée du titre Les Misères d’ici et qualifiée par Berlioz, dans ses Mémoires, d’« assassinat ». Créée à Paris le 20 août 1801, cette version connut immédiatement un éclatant succès et fut donc fort logiquement transcrite, conformément aux usages du temps, pour des effectifs moins importants qui lui permettaient de franchir les portes des salons. C’est une réduction anonyme pour quatuor à cordes que les Ruggieri ont choisi pour la première partie de leur concert, puisant quinze morceaux dans la petite vingtaine qu’elle contient afin d’offrir 45 minutes durant lesquelles, comme on peut s’en douter, aucun des grands succès de la Flûte n’est laissé de côté, qu’il s’agisse, entre autres, de l’air de Papageno « Der Vogelfänger bin ich ja », de celui de la Reine de la Nuit « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen », du « O Isis und Osiris » de Sarastro ou du duo « Bei Männern, welche Liebe fühlen » de Pamina et Papageno. Dès les premières mesures de l’Ouverture, les musiciens impriment à la musique une tension qui ne connaîtra aucune baisse jusqu’aux ultimes notes du Finale. Leur capacité à se servir des rebonds entre pupitres pour faire avancer le discours, à creuser les contrastes, à varier les éclairages se ressent nettement de leur expérience au sein d’orchestres habitués aux fosses d’opéra – trois des membres du Quatuor sont chefs de pupitre au sein des Talens Lyriques de Christophe Rousset – et permet de ne jamais avoir la moindre sensation de maigreur ou de manque de souffle, tout en conservant un véritable esprit chambriste. Très soudés autour de Gilone Gaubert-Jacques, premier violon très exposé car ayant souvent la charge d’assumer la transposition de la ligne vocale, mais heureusement tenu par une musicienne à la technique impeccable et à l’autorité naturelle évidente, possédant également tout ce qu’il faut de finesse pour ne pas créer de déséquilibre avec ses partenaires, les Ruggieri font vivre chaque épisode avec toute la théâtralité attendue, entraînant à leur suite un auditoire conquis.

Toute différente était la seconde partie du programme, consacrée au Quatuor opus 21 n°3 du compositeur auvergnat d’origine britannique George Onslow (1784-1853), le « Beethoven français », pour reprendre l’expression en grande partie publicitaire trouvée en 1830 par son éditeur, Camille Pleyel, qui commence à sortir de plus en plus de l’ombre grâce au travail acharné de l’association qui porte son nom et du Palazzetto Bru Zane. S’il faut chercher des parallèles entre les deux compositeurs, on les trouvera avec le plus d’évidence dans le mouvement lent de l’œuvre, un audacieux Larghetto en sol mineur dans lequel Onslow semble se plaire à distendre et à suspendre le temps, tandis que le caractère de marche obstinée de l’Allegro maestoso liminaire se souvient de la manière de Haydn tout comme le Finale, qui porte bien son nom d’Allegro scherzo, quasi Allegretto tant il affiche une humeur volontiers badine et insouciante, finalement très française, avec ses motifs qui lorgnent du côté de la chanson et de la danse. L’interprétation des Ruggieri, qui ont enregistré cette œuvre pour leur premier et courageux disque à paraître dans quelques semaines chez le jeune et décidément passionnant label agOgique, rend parfaitement justice à une musique qu’à force de travail et de conviction, ils sentent comme bien peu d’autres. Tout est parfaitement en place dans la lecture qu’ils délivrent : les pupitres dialoguent avec beaucoup de naturel et chaque instant semble aller de soi, déployant un charme immédiatement séduisant tout en faisant sentir l’intelligence qui préside à la construction. Dominant une acoustique d’église peu flatteuse, les quatre musiciens se montrent d’une parfaite précision dans les attaques, très soucieux de varier les climats et les couleurs, mais également suffisamment humbles pour faire confiance à la musique qu’ils jouent sans jamais la forcer, respectant les souhaits du compositeur ; les risques qu’ils prennent dans le Larghetto, joué aussi avec aussi peu d’effets que possible dans sa première partie, presque immobile, sont payants car assumés avec panache et intelligence : ce morceau qui serait probablement fade sous des archets moins affûtés acquiert ainsi une profondeur bouleversante.

Les Ruggieri pousseront même l’élégance, passées les salves d’applaudissements et les bravos qui saluèrent l’excellence de leur prestation, à offrir en bis le Scherzo du Quatuor en ré majeur opus 56 n°1 d’un autre compositeur français injustement négligé, Théodore Gouvy. Bien leur en a pris ; leur exécution parfaitement maîtrisée et scintillante d’esprit montre tout ce qu’ils ont à dire sur l’univers de ce musicien qu’on espère les voir rapidement rejouer plus complètement et enregistrer. Le public ne s’y est pas trompé et les a gratifiés d’une nouvelle et ultime ovation.

En sortant de ce magnifique moment de musique, une certitude s’imposait à l’esprit, celle d’avoir assisté à l’éclosion d’un nouveau et indiscutable talent du quatuor français, animé par le très louable désir de mettre sa déjà belle maturité au service d’œuvres et de compositeurs méconnus. On souhaite donc aux Ruggieri de trouver auprès des auditeurs et des institutions le soutien qu’ils méritent afin de pouvoir accomplir un parcours que l’on espère jalonné de réussites. Comme un signe du ciel, c’est le soleil qui les attendait à la sortie de l’église.

les douves d onzain les arts d'hélion
Été musical des Douves d’Onzain (site ici), 5 août 2012

Les Mystères d’Isis, transcription anonyme pour quatuor à cordes (1801) de l’adaptation française de Die Zauberflöte KV 620 (La Flûte enchantée, 1791) de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

George Onslow (1784-1853), Quatuor en mi bémol majeur opus 21 n°3 (1822)

Théodore Gouvy (1819-1898), Quatuor en ré majeur opus 56 n°1 : Scherzo (1872)

Quatuor Ruggieri
Gilone Gaubert-Jacques, violon I, Charlotte Grattard, violon II, Delphine Grimbert, alto, Emmanuel Jacques, violoncelle

Accompagnement musical :

Grâce à Alessandra Galleron, directrice du label agOgique, vous avez pu entendre, en avant-première, un extrait du disque consacré à George Onslow par le Quatuor Ruggieri, à paraître le 28 août prochain. Au nom des lecteurs de Passée des arts, je l’en remercie sincèrement.

Quatuor en ré mineur, opus 10 n°2 : [I] Allegro maestoso ed espressivo

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Trois Quatuors. 1 CD agOgique AGO 006. Ce disque peut être précommandé en suivant ce lien.


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