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Poptrait n°5

Publié le 14 août 2012 par Bertrand Gillet

James Douglas Morrison, portrait Rimbaud.

Morrison, entre-jambes de l’Amérique. Rêve de cuir qui finira en cauchemar post mortem. Trépassé et cependant dieu vivant. Elvis moderne, Sinatra rock. Agent provocateur, politicien de l’érotique comme il le dira plusieurs fois devant une presse américaine avide de phrases chocs. Oui, il fut tout cela et bien plus. Un homme avant la star immense que l’on sait. Avec sa force. Ses faiblesses. Son amour du Jack Daniel’s constituant l’un des nombreux vices rangés dans le cabinet de curiosités d’une existence en vérité extraordinaire. Comment arriver à cerner le personnage ? Un article sur les Doors n’a jamais été envisagé sans faire de Morrison l’épicentre thématique, mythologique, au grand dam des trois autres musiciens dont les qualités sont pourtant à l’origine du « son » du groupe. Alors, oui assumons ! Assumons le portrait délesté, autocentré, exclusif, égoïste, pur, sans groupe, ni producteur, une vision, dieu sait qu’il aurait aimé ce mot, une vision donc d’un américain au dessus des autres, d’un artiste qui rivalisa avec les plus grands.

Mais il y a plusieurs Morrison…

Le Morrison juvénile et sublime, taillé tel une statue antique dans le marbre de la célébrité. Celui qui fascinait les esprits adultes et tordait le bas ventre de la jeunesse. Extase. Séduction. Jim en connaît tout un rayon. Il façonne son image avec un professionnalisme qui laisserait coi n’importe quel attaché de presse ou impresario. Sans doute pensa-t-il en toute bonne foi exercer ces métiers avec compétence. Malgré un sérieux penchant pour toutes les formes de débauche, Morrison contrôle son image, son look. Ses moindres déhanchés sont étudiés, répétés. Il ne quitte jamais ses pantalons de cuir qu’une amie styliste dessine pour lui. Sa ceinture, la concho belt portée par les indiens navajos avec ses motifs de coquillages et de fleurs en argent, paraît délimiter la frontière entre le corps et l’esprit, la passion et la raison. Au geste, il joint la parole. Chacune de ses déclamations ressemble à une déclaration de guerre à l’establishment. L’homme est à lui seul, de la tête aux pieds, une PROVOCATION, un défi lancé à une Amérique conservatrice dopée aux armes et à l’ultra violence, empâtée par les barbecues géants d’un consumérisme béat. 


Le Morrison ombrageux. Œdipien. Qui raya sa famille d’un trait de plume biographique. Le « divorce » est prononcé lors d’une conférence de presse donnée dans un palace New Yorkais. Flash crépitant comme pour accentuer le poids de chaque mot. Chaque mensonge. Ses parents seraient morts dans un tragique accident de voiture. Quelle est l’origine de ce drame intime ? Le père de Morrison était amiral. L’univers dans lequel grandit le futur chanteur des Doors, ultra codifié, est bien plus cloisonné qu’une chambre d’adolescent du Middle West. Une cage dorée aux galons et qui a pour nom base militaire. Et l’oiseau Jim de rêver à sa prochaine évasion. Ainsi entravé, il se réfugie très vite dans l’insolence, la révolte. Il rêve de cinéma, de musique peut-être, de Californie assurément. Ses premiers voyages, il les fera à travers ses lectures dont les nouveaux paysages intérieurs offrent déjà la promesse d’aventures à venir. Alors que le garçon se mue en homme, la séparation physique avec ses parents se fait. Il s’installe à L.A. et s’inscrit à l’UCLA, section cinéma. La légende des Doors sur les rails, il transforme son succès en revanche personnelle allant jusqu’à refuser de voir sa famille lorsque celle-ci fait le premier pas. Son père quant à lui attendra la mort de Jim, soit dix longues années, pour déclarer « mon fils avait un talent unique qu’il exprima sans compromis. »

Le Morrison bouffon, bouffi par l’alcool, la panse éclatant comme un fruit trop mur. Un pitre alcoolique comme l’appellera Lester Bangs, rock critic et romancier. Lui aussi picolait plus que de raisins. Derrière l’addiction, il y a un méthodique processus d’auto destruction dont on ne sait s’il fait partie de l’Art ou s’il est le résultat d’une célébrité mal assumée. Beaucoup de grandes figures du rock ont elles aussi sombré dans les vapeurs de l’alcool, Janis Joplin, Keith Moon, John Bonham, Bon Scott… Chez Morrison, c’est un dérivatif. Pour oublier cette vérité qui le ronge : Jim est adulé pour les mauvaises raisons. Certes, la vie de rock star lui offre maints plaisirs, maintes récompenses. Couvertures de magazines, articles élogieux, groupies par centaines. Conscient du pouvoir qu’il détient, Morrison vivra au grand jour ses folles bacchanales pour le plus grand malheur de Pamela Courson, sa petite amie. Mais son esprit est ailleurs. Prisonnier d’une image à laquelle il ne peut échapper. Car l’homme se rêve plutôt en littérateur

Le Morrison poète. Véritable homme de lettres et finalement de l’être. Sans doute trouva-t-il dans la poésie un remède à ses tourments. La voie vers une vie plus authentique. Les poètes sont rarement des stars. Mais ils portent en eux une malédiction ancestrale, celle-là même qui frappa en leurs temps Baudelaire, Rimbaud, Antonin Artaud. Morrison les a tous étudiés. Il s’est littéralement nourri de leurs œuvres fécondes puisant également dans les recueils des poètes américains une inspiration plus moderne, spontanée, automatique : Whitman, Melville, Pound, Ferlinghetti, Corso, Ginsberg, Kerouac, Di Prima, Kaufman. Sur le toit de la maison d’un ami, il noircit des pages et des pages, feuillets restés légendaires et qui constitueront la trame de Seigneurs et nouvelles créatures et d’Une prière américaine, publiés entre 1969 et 1970. Dès lors, il rejoint le panthéon des lettres en compagnie de Bob Dylan. Comme aimanté à son destin, Morrison profite de son procès en appel pour quitter 1/le groupe, 2/L.A.,3/le pays. Il s’installe avec Pam Courson à Paris, au 17 de la rue Beautreillis. Un exil pour se retrouver. Un exil pour produire. L’Œuvre d’un homme, d’un poète. Une quête qui restera inachevée. Un voyage dont il ne reviendra jamais.

Il y aussi et surtout le Morrison chanteur, crooner, grand prêtre du blues, Mr Mojo Risin’ mec ! Finalement, et si James Douglas Morrison n’avait pas tant désiré être une star qu’un bon chanteur de blues ? Un frontman honnête et modeste. Un sage, un grillot. Tout comme Lou Reed, autre écrivain du rock, qui selon ses propres mots voulait depuis toujours devenir un guitariste rythmique. Et si nous oublions les excès, les procès pour ne retenir que cette image : Morrison yeux clos, micro prisonnier de ses deux mains, visage tapissé de barbe, chevelure moutonnant jusque sur ses épaules, bouche expressive, sensuelle, marmonnant entre chaque vers ces « baby » désormais mythiques. C’était un chanteur, juste un chanteur de rock’n’roll.

http://www.deezer.com/fr/music/playlist/103717441



14-08-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 323 fois | Public
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