A quoi pensais-tu en descendant ces marchesque tu ne remonterais plus Je voudrais savoirpercer ta brume et ton mystèreet ta bouche closeTon âme mystique ton silence SavoirCe qui t'a poussé ce jour-làton plateau de fruits aux mainsSavoirCe que tu allais chercher là-basce que tu demandais de l'ombreCe que tu exigeais des dieuxCe que tu franchissais de néantsLes adieux que tu laissais comme des cendresDe tes paumes multipliées SavoirCe que tu pensais rejoindreOu quitterVoler de vos ailes car tu ne supportais plusSavoir ta main tendue et dépliéecomme le front de l'eauTa main molle souple doucement lâchéepieds titubés Visage plongeant dans l'eau tiède de ses offrandesde ses miettes de prièresde ses promesses diluées Très haut le soleil chauffaitchauffaittrès loin les cloches sonnaient Cloches soleil fleurs ébréchéeseau blondie vie percée tachée de lassitude Qui tu es mon pèreMieux vaut ne pas savoir Les cloches ont trop longtemps sonnédans le temple enfuméDe très loin j'ai entendu les chantsEt respire l'âpre sueur des bois de manguierL'encens le ghee l'adieu Moi je n'ai pas fait mes adieuxPourquoi l'aurais-je faitJe ne t'ai pas vuJe te vois toujours marcher parmi les arbresArracher une mauvaise herbed'une plate-bande négligéeEcrire dans ton cahier tes mille choses inutilesBribes brèves bruits de tes vies qui se fendent On ne saura jamaisJe n'ai pas cherché à savoirJe t'ai laissé tes secretsJe ne saurai jamais Si je l'avais puJe t'aurais écouté vivreVivreJusqu'à en mourir
Ananda Devi, Le long désir (Gallimard, 2003)
image: Pascal Quelen (photos.linternaute.com)