Titre original : Lat den rätte komme in
Note:
Origine : Suède
Réalisateur : Tomas Alfredson
Distribution : Kare Hedebrant, Lina Leandersson, Per Ragner, Henrik Dahl, Peter Carlberg, Ika Nord, Mikael Rahm, Pale Olofsson, Patrik Rydmark…
Genre : Vampire/Horreur/Romance/Drame/Fantastique
Date de sortie : 4 février 2009
Le Pitch :
Oskar, jeune adolescent pré-pubère, vit une existence solitaire dans la banlieue hivernale de Stockholm, Blackeberg au début des années 1980. Cruellement martyrisé par ses camarades de classe sadiques, et trop timide pour répliquer, il se contente de rêver de vengeance la nuit et revit ses fantasmes d’attaques imaginaires au couteau dans la cour de son immeuble. Un soir, il rencontre la petite Eli, sa voisine depuis peu, qui habite seule avec son père adoptif, Hakan. Leurs rencontres nocturnes mènent d’abord à l’amitié, puis à l’amour. Sauf que voilà : Eli ne sort que la nuit, et en T-shirt malgré le froid glacial. De plus, son arrivée dans la banlieue coïncide avec une série de meurtres inexplicables…
La Critique :
Beaucoup de films de vampires trainent derrière eux la vieille loi vampirique qui stipule qu’on doit inviter le monstre chez soi pour qu’il puisse venir nous sucer le sang. Dracula doit flatter ses proies pour qu’elles ouvrent les fenêtres et prononcent le mot de bienvenue. Même les beaux gosses dans la série True Blood sont contraints de demander la permission de franchir le seuil d’une demeure. Comme leur absence de reflet, la crainte de la croix, et l’allergie à l’ail, ces conventions traditionnelles qui rendent les vampires aussi funs, peuvent facilement être désamorcées par quelques vannes : et si on installe un paillasson, ca compte comme une invitation ? Si les vampires n’ont pas de passeport, est-ce qu’ils doivent retourner en Transylvanie ?
Pourtant, c’est un aspect du mythe ancestral que Morse : Let The Right One In, s’engage rigoureusement à offrir un point de vue neuf là-dessus, parce que c’est précisément là où la partie se joue : ce qui ce passe quand quelqu’un invite volontairement un vampire dans son foyer. D’où le titre. Si le réalisateur Tomas Alfredson ne partage pas cette fascination pour le mythe, la puissance de son œuvre vient de son mélange extraordinaire de maitrise et d’exploration. On se demande souvent ce qui se passerait si un vampire entrait chez nous sans y avoir été invité : la réponse se trouve ici, d’une manière quelque-peu effrayante. Ce n’est pas joli à voir, mais c’est aussi quelque-chose que l’on n’a jamais vu auparavant. Une ode à l’ingéniosité d’Alfredson lui-même et à l’auteur/scénariste John Ajvide Lindqvist, qui adapte son propre roman Let The Right One In : presque un siècle après Nosferatu, il reste encore des nouveautés chez le plus familier des monstres du cinéma.
Film de vampires, film d’horreur, thriller psychologique, drame d’enfance, Morse incarne toutes ces choses, sans y correspondre véritablement. Certes, on a bien affaire à un film de vampires, mais pas au sens propre du terme. L’œuvre d’Alfredson prend les vampires au sérieux, comme l’ont fait Murnau et Herzog avec leurs versions de Nosferatu. Très au sérieux, donc. Il dessine aussi le portrait déchirant d’une relation entre deux enfants au seuil de l’adolescence. Mais ce n’est pas un film pour enfants.
Ces deux enfants sont Oskar et Eli. L’un, une petite fille qui se promène en chemise de nuit sous la neige, l’autre un garçon persécuté par les gros bras de sa classe, auxquels il ne résiste que dans la solitude de sa chambre. Oskar est seul, ses parents sont divorcés, personne ne veut de lui. Eli est seule, elle aussi, mais pour des raisons bien différentes. Oskar a atteint l’âge où il accepte des vérités stupéfiantes avec calme et sérénité, parce que la vie ne lui offre plus de surprises. Eli est très pâle, se balade pieds nus dans la neige, ne sort que la nuit, et empeste la mort : Eli est donc un vampire. Vampire au féminin, peut être, mais un peu garçonne. Le film persiste avec un non-dit troublant au sujet son identité sexuelle. Oskar demande à Eli si elle veut être sa copine. « Oskar, je ne suis pas une fille » répond Eli, parce que l’inverse est tout aussi vrai.
Le long-métrage dépeint un hiver provincial en Suède, une banlieue glauque en dépression froide et enneigée où rien ne se passe bien. Même les serial killers sont incompétents, dérangés dans leurs activités nocturnes par l’arrivée d’un chien en promenade ; et quelques bons conseils entre amis qu’il ne faut plus se laisser marcher sur les pieds par les petits connards de l’école, donnent lieu à une montée inquiétante en violence à laquelle, il n’y a pas d’échappatoire. Oui, il y a de la violence, du gore, du sang qui coule là, mais l’équilibre entre enfance et vampirisme s’est inversé.
Fort de l’idée que l’amour d’enfance est aussi éternel que l’amour vampirique (et que d’avoir un vampire invincible comme meilleur ami, ça sert) et porté par les prestations miraculeuses de ses deux jeunes acteurs, Morse se construit lentement – on ne sait pas si la copine d’Oskar le veut en tant qu’ami, serviteur ou casse-croûte – et réfléchit sur les défis minuscules avec lesquels les immortels pourraient faire passer le temps au fil des siècles. Un Rubik’s Cube, par exemple.
Morse est fondamentalement un récit d’enfance, avec quelques éléments fantastiques (des vampires, donc). Si on enlève ces éléments, il reste l’histoire de deux enfants perdus qui sont capables d’actes sombres sans éprouver de grandes émotions. Des rescapés sur le rivage du désespoir. Mais contrairement à Twilight, qui correspond tout aussi bien à cette description de vampires dans un environnement réaliste, on y trouve un intérêt (c’est aussi mieux écrit, mieux adapté, mieux filmé, mieux interprété, moins débile et moins hollywoodien que Twilight). Tous les choix artistiques (casting, photographie, rareté des plans plus larges ou des mouvements de caméra, etc.) sont assurés, maîtrisés, d’une clarté absolue.
On peut s’inspirer d’un souvenir, d’un livre, d’un genre, d’un lieu ou d’une chanson. On peut s’inspirer d’autres films, aussi, mais Morse ne le fait pas, ou si peu. Et puis on peut être inspiré, tout court, et Morse l’est, par quelque-chose d’imminent, d’impalpable, qui dépasse sans doute ses auteurs eux-mêmes. Il s’agit de l’un de ces films qui accomplit ce que font les meilleurs films d’horreur : il touche le spectateur d’une manière mélancolique, personnelle, et poignante. Il ne côtoie pas les saveurs lourdingues de la peur, où l’on nous fait gueuler et crier, où l’on nous choque pour le simple but de choquer. Dans la lignée du Labyrinthe de Pan, Morse veut toucher, et émouvoir, et donner vie à une expérience universelle dans une arène fantastique, qui est à la fois absolument imaginaire, et aussi fondée sur quelque-chose de très, très réel. Chef d’œuvre.
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Overture Films