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Léviathan, tome 2 – La nuit par Lionel Davoust

Par Livresque Du Noir @LivresqueduNoir

Pour la deuxième fois, je me plie volontiers à l’exercice proposé par Fabien ; la première, c’était pour Léviathan : La Chute et je m’étais montré un peu facétieux, à la limite de l’esquive. Pour la suite, Léviathan : La Nuit, je volerai les mots du mage Julius Ormond à la conclusion du premier volume : « Cette fois, fini de plaisanter… »

John Irving avoue qu’il écrit sur ce dont il a peur, et je pense que la confidence vaut pour bien des écrivains. J’écris aussi en partie sur ce qui m’impressionne ou m’effraie, et dans mon cas, c’est le fait de ne pas savoir. Non pas le savoir académique, la connaissance purement livresque ; mais l’ignorance plus profonde, viscérale et incommensurable, de ce que je fais ici-bas, c’est-à-dire, ce que je veux faire ici-bas. Il ne s’agit pas de choix d’orientation, de carrière, de vie, même si cela y participe. La question est que je me refuse à voir dans le monde qui nous entoure un système purement mécaniste où l’intention, la volonté, l’humour n’ont pas leur place.

Déclaration déiste ? Certainement pas. Mystique, spirituelle ? Ah, peut-être.

Léviathan : La Nuit, c’est aussi cela : la descente aux enfers d’un homme, Michael Petersen, qui découvre que ce qui avait du sens dans sa vie, ce qu’il tenait comme acquis et solide, est un cache-misère pour le néant de son existence. Un tueur en série qui le connaît étonnamment bien assassine méthodiquement ses proches dans l’espoir de le « libérer » de la machination dont il fait l’objet – et le forcer à se confronter à ce qu’il est et désire réellement.

Les choses deviennent compliquées quand il s’avère que ce tueur se joue des lois de la nature, et qu’il a plus en commun avec l’Ombre de Michael, cet inconscient extérieur à nous-mêmes, presque un mauvais démon, formulé par le psychologue Carl Gustav Jung, qu’avec un serial killer classique. Métaphore ? Peut-être… Car plusieurs lecteurs m’ont confié avoir rêvé pour eux-mêmes de ce tueur archétypal à la robe noire et au visage invisible, qui symbolise ce que nous abritons de plus sombre et de plus inavouable.

Quand on me demande pourquoi les Léviathan rôdent aux frontières du fantastique, je réponds toujours la même chose : je suis obsédé par les failles de la réalité. Le monde consensuel m’ennuie. Je pense fermement – et tous ceux qui ont un jour éprouvé une bouffée d’émotion devant ce qui représente un sens pour eux, que ce soit les espaces vierges de la nature, leurs enfants, le visage d’un être aimé, les symboles et rites sacrés de leur religion – que ces interstices existent, qu’ils nourrissent notre vie et lui confèrent une ardeur à laquelle la raison seule ne saura jamais entièrement suppléer. Léviathan est une expérience, une tentative d’imaginer comment, dans notre monde moderne fait d’Internet, de consommation instantanée, de conflits mondiaux, l’émerveillement primordial (ou le cauchemar) peuvent encore prendre vie et corps.

C’est une expérience pour les personnages, Michael, le biologiste marin rescapé d’Antarctique et veillé par les orques, Masha, l’agent double au service de la société secrète qui complote contre son mari, Andrew, l’agent du FBI qui cherche à comprendre d’où lui viennent ces cadavres retrouvés en plein désert et noyés avec l’eau du pôle Sud. Mais c’est aussi une expérience pour moi et, je l’espère, pour le lecteur : avec le plaisir partagé d’une histoire que je voudrais aussi passionnante que possible, ouvrir des portes et des questions sur la véritable place du sens et sa ténébreuse contrepartie, l’Ombre. Quand on ne les réduit pas à des phénomènes de foire ou à des doctrines diluées pour rayons new-age de supermarché, les traditions de l’initiation ont beaucoup à dire, et surtout à nous proposer de réfléchir. Et comme elles sont faites pour être vécues, et non racontées, il me semblait bien plus intéressant et amusant, pour moi mais aussi pour les autres, de les mettre en scène à travers le prisme de la fiction.

Léviathan n’a rien d’un essai. C’est un thriller, du roman, de l’aventure assaisonnée de fantastique. Mais en voyant les personnages vibrer et s’affronter, se débattre entre les pressions contradictoires de leur monde et de leur volonté, peut-être émergera-t-il, comme l’entrechoquement de silex, l’étincelle de questions d’intérêt. Michael, Masha et Andrew m’ont beaucoup appris, et ils gardent en réserve des surprises quant au sens profond du destin que je leur réserve.

Car dans leur sillage rôde une Ombre implacable et, à un moment de leur vie, comme de la nôtre, ils devront affronter ce qu’elle signifie réellement pour atteindre la liberté.

Faites de beaux rêves.


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