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[anthologie permanente] Paul Valéry & Pierre-Jean Jouve

Par Florence Trocmé

L’été est le temps des rediffusions ! Poezibao revient donc sur ses pas et reprend les tout premiers temps de l’anthologie permanente. Elle s’appelait alors l’almanach poétique et a commencé à paraître le 1er janvier 2002 sur le site Zazieweb aujourd’hui disparu (ce qui fait que les poèmes choisis à l’époque ne sont plus accessibles).  
Les extraits étant très courts à l’époque, Poezibao en publiera deux chaque jour de cet été.  
 
 
(mardi 19 mars 2002)/Paul Valéry 
 
La paresse agrandit les minuscules choses prochaines. Une Mouche soudain se détache du mur ; étincelle ; n'est plus, et renaît sur ma main. Ce point vivant, point noir vivement consumé, recréé, a changé de point d'existence. Es-tu, Mouche, la même Mouche, la Mouche même qui était ? Qui jurera de ton identité ? Puis-je vraiment penser (mais penser jusqu'au bout de ma pensée) que ce transport, cette destruction d'insecte que dissout le soleil, a transmis une essence sans seconde, un être unique, infime certes ; mais qui compte pour soi-même dans la table instantanée des vivants ? L'étrange don de ne pas être un autre en elle m'émerveille. Mais moi, je me confesse que je la confonds avec toute mouche venue. C'est là même penser…. C'est confondre toutes les mouches. Mais comment te conserves-tu ? Comment te divises-tu — dans je ne sais quelle petite âme, — de la cause et des effets de ton mouvement ? Quand tu voles, mouche, sans doute tu n'es que vol ; et quand tu te poses et pivotes, et picotes, tu n'es qu'échanges minuscules, sans passé, sans futur, et comme infiniment accidentelle. O Même et Non Même, tu m'engendres une fatigante, une insoutenable présence de questions…La vie saute de mouche en mouche. Adieu souci, n'allez pas plus avant sur la route vénérable qui ne mène à rien. Ma torpeur, ma stupeur dorée ne peuvent à présent supporter un objet de quelque durée.  
[...] 
 
Paul Valéry, Alphabet, Le Livre de Poche classique, 1999, p. 75.  
 
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(jeudi 21 mars 2002)/Pierre-Jean Jouve 
  
21 mars  
Cendre nue du printemps ! Organum du printemps ! 
Brillement du printemps abandon du printemps 
Robe bleue du printemps oiselet du printemps 
Piétinement de la terre du printemps. 
 
Tu relèves debout les colonnes des morts 
Tu fais jouer l'oiseau dans la robe nue des morts 
Tu tiens au bout des branches roses des morts 
Les grappes de graines salies dans la mort 
 
Et bienheureux les morts ! 
 
Voici la douce pluie qui fait sécher les arbres 
Voici les grands enfants abandonnés le soir 
Voici le calme de la mort sur les volets 
Voici le pas de l'espoir dans l'obscurité 
Voici les libérations fraîches du pécheur 
Voici les accidents favoris de la liberté 
Voici la paix et l'œil noir de velours 
Voici le génie dans toutes les herbes aimées 
Voici la sûreté de ne jamais mourir jamais 
Voici la vraie croix de la sécurité 
Voici la certitude infiniment nue de la paix. 
 
Pierre-Jean Jouve, Dans les années profondes, Matière céleste, Prose, Poésie/Gallimard 1995. p. 137. 


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