Si vous allez être étudiant, et plus précisément si vous allez rentrer en hypokhâgne, vous stressez peut-être, comme cela m'est arrivé il y a deux ans, à propos du bizutage que vous allez subir. Je tiens donc à vous rassurer là-dessus. Le bizutage étant interdit par la loi française, jamais vous ne serez bizutés dans l'enceinte de votre établissement. En revanche, dès que vous en sortirez, vous allez souffrir (mouahahahaha).
Personnellement, même si sur le moment j'ai beaucoup appréhendé et apprécié mon intégration (oui oui, les deux à la fois), et que j'en garde un très bon souvenir, on peut qualifier cette intégration de globalement décevante. On n'a pas eu à faire grand-chose et on ne s'est pas vraiment sentis soudés. Déjà, notre intégration a eu lieu deux semaines après la rentrée, donc on se connaissait déjà, donc ce n'était plus vraiment une intégration... Mais comme c'était quand même très sympa, qu'il y avait une super ambiance et que ça a marqué le début d'une aventure de trois ans (ce que je n'aurais jamais soupçonné à l'époque puisque je ne voulais même pas passer en khâgne), je vous en fais le récit.
Quand on entre en hypokhâgne, on est terrifié. On croit qu'on va avoir une tonne de boulot, qu'on ne va jamais s'en sortir et qu'on va dire adieu à sa vie sociale. L'univers des prépas apparaît comme un monde sadique où les Deuxième année ont du vécu, c'est des briscards, ils nous font peur, ils se moquent de nous et ils sont très méchants. Alors qu'en vrai, les Deuxième année sont très sympas dans l'ensemble, même s'il y a aussi des cons, mais comme partout, et ils font exprès de se la péter un peu pour vous foutre les boules parce qu'ils l'ont vécu avant vous, mais rien de bien méchant. En prépa littéraire en tout cas, car d'une manière générale, nous sommes des êtres sensibles et raffinés. Vous voilà rassurés.
Les visages hostiles des Rougon-Macquart me rappellent l'image que j'avais des khâgneux à mon entrée en hypokhâgne.
Concernant mon intégration à moi, personnelle et singulière, individuelle et particulière, je considère qu'elle a fait son job, elle m'a intégré. Donc je n'ai pas grand-chose à reprocher aux khâgneux de l'époque, même si, ouais, elle aurait pu être mieux. Ils nous ont réunis dans la cour deux semaines après la rentrée, ils nous ont fait un discours terrifiant pour nous signifier que cette année n'allait pas être une sinécure, ils nous ont appris le traditionnel VARAAAA, TIBI KHAGNA VARA, CELEBRAT GLORIAM etc etc, et nous ont distribué une fiche qui résumait admirablement le caractère de chaque prof avec quelques-unes de leurs citations mémorables. Jusque là tout allait bien, quand ils nous ont appelés un par un pour nous faire boire un breuvage dégueulasse qui résultait d'un mélange maladroit d'alcools et autres boissons douteuses. Au fond du verre se trouvait un nom : celui de notre parrain, qui nous attribua un pseudo censé nous suivre toute l'année. Le mien était Marguerite Duras, et ce fut la première et dernière fois de l'année où l'on m'appela Marguerite Duras, à mon grand dam. Ils nous ont dessiné des chouettes sur la tronche au marqueur, puis j'ai discuté cinq minutes avec mon parrain pour ne plus jamais lui reparler dans l'année. Nous partîmes alors en centre-ville en chantant VARAAAAA, TIBI KHAGNA VARAAAA.
Une fois en centre-ville, ils ont fait des discours sur la khâgne et l'hypokhâgne, leur expérience, des anecdotes marrantes, etc. Puis ils nous ont distribué des poèmes à connotation franchement pornographique (et à mon sens très choquante...) qui se voulaient des pastiches (assez réussis d'ailleurs) de poèmes d'auteurs célèbres, et nous devions les déclamer, debout sur la fontaine, à toute la ville qui nous écoutait. Mais bon, l'avantage de ce procédé est que ceux qui ne désiraient pas se faire remarquer pouvaient ne pas le faire (nous étions une centaine d'hypokhâgneux, donc seule une minorité pouvait passer). Comme je suis phobique de l'eau, j'ai préféré me tenir éloignée de cette fontaine. Un accident est si vite arrivé. Peu importe, puisque nous nous sommes bien marrés, et nous avons découvert chez quelques personnes des dons théâtraux dont nous ne soupçonnions pas l'existence. Puis nous sommes tranquillement allés nous cuiter tous ensemble (à cinquante environ). Pour résumer : une bonne petite soirée. Seul bémol notable : les chouettes au marqueur sur la tronche qui attisent la suspicion des gens au moment de prendre le tram pour rentrer.