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L’opposition à l’ours, une histoire d’argent ?

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

23 août 2012 Ferus publie « Trois agents du Parc du Mercantour agressés par un éleveur ». Un commentaire attire mon attention. C’est celui de « Paul » qui écrit le 24 août :

« Le germe de l’opposition à l’ours ne se trouve pas dans l’échec scolaire ni l’asociabilité, c’est tout simplement et très bêtement une histoire d’argent, de prime à l’élevage que certains veulent conserver, en plus d’autres activités professionnelles. Le but de ces éleveurs est davantage dans le non gardiennage des troupeaux que dans l’opposition à l’ours proprement dite.
Un des principaux opposants à l’ours a une activité salariée et de ce fait laisse ses moutons seuls dans l’estive. Pas question pour lui de renoncer à la prime de l’élevage et au non gardiennage de ses bêtes divaguant dans la montagne.

Certains éleveurs ne brillent pas par la finesse mais d’autres semblent avoir un bon bagage intellectuel, il y a même une (ancienne de l’informatique) qui écrit des livres. Un autre, aussi acharné, a fait des études d’architecture, il doit avoir un bon niveau.
Le grand chef a prouvé lui aussi quelques talents dans la gestion de ses affaires, il est loin d’être idiot lui aussi.
Dire que tous sont des attardés est aussi à côté de la plaque que de dire qu’ils font de l’élevage pour sauver la biodiversité ou pour l’amour des bêtes.
C’est une question de gros sous et les principaux opposants sont des pluri-actifs qui ne peuvent et ne veulent pas garder leur bétail dans les estives. »

J’envoie le lien à mon copain Marc Laffont, une des plumes de la Buvette.
Pour lui, ce commentaire témoigne d'une bonne connaissance du terrain. « Paul » parle « d’un salarié », « d’une ancienne de l’informatique » et d’un « grand chef ». Pour le « grand chef », nous avons bien une idée. Pour les autres, on ne sait pas trop. Nous échafaudons bien quelques hypothèses, mais rien de bien probant. C'est « Paul » qu'il faudrait pouvoir interroger.
Pour ce qui est du fond, la pluri activité en élevage, Marc Laffont n’a pas trouvé énormément de documentation récente, surtout en Pyrénées ariégeoises.
Il y a bien un document de 2006 qui étudie un atelier ovin pratiquant la transhumance associée à une activité de type agricole, ou de l’agrotourisme, ou de l’emploi salarié, mais ça date un peu.

L’opposition à l’ours, une histoire d’argent ?

Qu'est-ce que Marc Laffont en tire ?

  • Qu'un tel atelier en 2006 (210 têtes) ne permettait pas de dégager un revenu pour un équivalent temps plein (14.000 € de produit brut ovin pour 9.000 € de charges ovines, faites le calcul). D'où la pluriactivité.
  • Qu'en 2006, les subventions et aides représentaient déjà plus de 60 % de la marge ovine et 48 % du produit brut.
  • Qu'avec l'accroissement des aides décidé en 2010, ce ratio a dû encore se dégrader, mais le revenu s'améliorer.
  • Que de fait, sauf à regrouper ces animaux avec ceux d'autres troupeaux, un réel gardiennage n'est évidemment pas envisageable.
  • Que même dans ce cas de regroupement, ce sera toujours avec un ratio berger/taille du troupeau notoirement inadapté à un pastoralisme de qualité.
  • Ce qui tombe assez bien car ce n'est pas le but recherché par les ténors syndicaux du secteur...
  • Que tant que la PAC ne mettra pas fin à la "primiculture" (observée également avec les céréales sur des terres peu favorables), il n'y a aucune raison que la mentalité du non gardiennage évolue.

Marc poursuit : Entendons nous bien ; je n'ai rien contre la pluriactivité en agriculture. Je dirai même que dans pas mal de secteurs peu rémunérateurs, elle est la seule solution. Mais si elle doit se traduire par la non récolte du tournesol pour les uns, et le non gardiennage des troupeaux pour d'autres, il faut revoir le concept.
L'objectif premier d'une activité agricole reste la production, pas l'occupation couteuse et peu ou pas productive de surfaces qui pourraient être consacrées à autre chose ou restituées à la Nature.
Ce qui doit caractériser la pluriactivité, c'est la taille plus modeste de la structure, pas la dégradation qualitative du travail agricole libérant du temps pour faire autre chose.
Un agriculteur pluriactif ne doit pas être moins compétent qu'un agriculteur à temps complet. Sinon, il va dans le mur. Sauf à être perpétuellement subventionné pour compenser son déficit de technicité.
En cherchant encore, Marc a trouvé un autre document relatif à la pluriactivité en élevage ovin de montagne en PACA :
Ce document de 2010, donc plus récent, confirme quelques aspects :

  • Il faut 250 brebis pour rémunérer 0,7 équivalent temps plein (grâce à une augmentation des soutiens de 22 % entre 2009 et 2010).
  • Les primes représentent 64 % du produit brut, ce qui constitue le ratio le plus élevé des 10 cas-types modélisés en PACA (compris entre 39 et 64 %).


Comme le dit le document : « on  note, pour 2010, 3,9  % d’augmentation de la part des primes et soutien dans le produit brut de l’exploitation en lien avec le rééquilibrage des aides de la PAC intervenu en 2010. L’augmentation du revenu, très conséquente, est ainsi très fortement liée à celle des soutiens de la PAC »
Donc dans 3-4 ans, lorsque la hausse des charges, notamment d'alimentation, aura bouffé la hausse des soutiens de 2010, on repartira pour un nouveau « bilan de santé » qui portera à 70% la part des primes et soutien dans le produit brut de l’exploitation.
Et en continuant à crier "mort au loup" et "mort à l'ours", évidemment, responsables de la dégradation de la situation.
Marc Laffont
Le 25 août, Ykerb répondait :

« Selon des échanges avec les gens du pays, cet éleveur, je l’ai rencontré. Etait ce lui ou bien son frère peu importe. Celui que j’ai rencontré avait investi plus de 100.000 € depuis plus de 5ans. Il ne tirait toujours pas de revenu. Tout juste de quoi couvrir ses frais. Et si encore il avait une visibilité à court terme, genre « dans 5 ans c’est bon je m’en sors », mais non. Evidemment je ne cherche pas à excuser le comportement de cet éleveur. Cela ne pourra que le gêner dans son activité. Cela ne l’avance à rien bien au contraire. Mais il faut savoir quels efforts, quel courage d’entreprendre parfois, font beaucoup d’éleveurs pour gagner si peu. Voilà encore une fois un fait divers qui illustre oh combien la question est vue par le petit bout de la lorgnette. S’agit-il de s’alarmer sur l’impact du loup sur le troupeau de cet éleveur? S’agit-il de s’interroger sur l’acceptation ou l’éradication du loup?
Ou bien comme je le pense s’agit-il de s’interroger sur l’avenir des pays de montagnes, la désertification mais en même temps l’explosion des prix de l’immobilier comme à Guillaumes? Que voulons nous pour ces territoires, là est la vrai question? Et n’en déplaise à José Bové, les 250 loups pèsent peu dans le fond de problème».

Et Paul lui a répondu :

100.000 euros d’investissement en parallèle d’une subvention agricole annuelle qui conduisent à une activité qui n’a aucune perspective de rentabilité économique !  La démonstration est faite que l’élevage de montagne des ovins n’est rentable qu’avec des coûts de fonctionnement réduit AU MAXIMUM (dont le non gardiennage des troupeaux) et surtout une autre activité professionnelle où l’élevage n’est qu’un appoint de revenu (schéma économique observé chez certains opposants virulents).
Un reportage TV dans les Vosges notait une prédation d’ovins par le loup pour un troupeau non gardé par son propriétaire qui était ouvrier en usine.


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