Magazine Culture

6 questions à Marc Dumont, producteur d'Horizons Chimériques sur France Musique

Publié le 03 septembre 2012 par Jeanchristophepucek

Depuis la rentrée 2011, Marc Dumont produit et anime Horizons chimériques, un rendez-vous quotidien diffusé par France Musique du lundi au vendredi entre 16h et 16h55, dont le propos est de faire voyager l’auditeur en musique autour d’un thème, d’un interprète ou d’un événement culturel (concert, exposition, etc.). À l’occasion du lancement de la nouvelle saison radiophonique, Marc Dumont a bien voulu entretenir les lecteurs de Passée des arts de son parcours, de son émission et leur faire partager le regard qu’il porte sur l’évolution de son métier et de la place accordée à la musique dans notre société.

marc dumont france musique

Passée des arts : Marc Dumont, si votre voix est familière aux auditeurs de France Musique, ils n’ont pas obligatoirement connaissance du parcours qui a été le vôtre. Pourriez-vous nous en rappeler les grandes étapes et nous expliquer, notamment, comment l’historien de formation que vous êtes en est venu à se consacrer ainsi à la musique ?

Marc Dumont : Je dirai plutôt : « me consacrer à la radio » car c’est ainsi que j’ai vécu le passage. J’ai effectivement enseigné l’Histoire, pendant quatorze ans, dont dix à Aubervilliers – ce qui fut d’ailleurs ma plus riche expérience humaine. Mais dès le début de ma carrière, j’ai goûté au micro sur une radio privée, TSF 93, où j’ai produit une émission hebdomadaire qui s’appelait Chansons aux pommes, mêlant Histoire et chansons. Puis je suis entré à Radio Bleue sur la base d’une émission hebdomadaire du même genre, Chansons Témoins, qui m’a permis, grâce aux archives de l’INA, un travail radiophonique différent, plus en profondeur, plus fort et original. Cela a duré 15 ans ! Quant à l’autre musique, la « classique », ce qui s’est passé est plutôt drôle. Depuis mon adolescence, ces musiques-là et l’Histoire sont mes deux passions et mes premières armes radiophoniques dans ce domaine ont été plutôt inattendues.

joachim patinier le passage du styx
C’était à TSF, où il n’y avait pas d’émission de musique classique, mais où existait, tout à côté, un « petit » festival, à Saint-Denis, où venaient Jessye Norman, Barbara Hendricks, Wolfgang Sawallisch, Kurt Masur et quelques autres comme Ozawa. Ce furent mes premières interviews, y compris celle d’un jeune inconnu nommé Esa-Pekka Salonen, juste avant son premier concert en France : une impressionnante 5e de Sibelius. J’ai ensuite proposé des idées d’émissions à Radio Bleue (Place de l’opéra ou Bleu classique) et à France Culture. Ma chance a été de pouvoir passer près de dix ans au programme musical de France Culture, avec des séries multiples comme Euphonia, et d’y faire un apprentissage en profondeur de toutes les formes possibles de radio. Ce fut une période géniale, excitante, d’une totale liberté, entre entretiens, reportages, direct, semi-direct pour des sujets transversaux mêlant musiques, littérature, histoire, psychanalyse : un vrai laboratoire quotidien agitateur d’idées et de formes radiophoniques. Ensuite est venu le temps de France Musique avec des centaines de concerts, d’émissions comme Présentez la facture, Grands Compositeurs ou Les Visiteurs d’Histoire, et toujours ce désir de transmission, de partage de la musique et des musiciens, ce désir de radio.

 P.d.a. : Aujourd’hui, hors des médias spécialisés, la musique dite « classique » a presque disparu des programmes des télévisions comme des radios généralistes, devant se contenter d’une portion de plus en plus congrue dans la presse. Quel regard l’observateur privilégié que vous êtes porte-t-il sur cette évolution ? Vous semble-t-elle inéluctable ?

M.D. : Il y a quelques semaines, on apprenait qu’une ville belge allait diffuser de la musique « classique » dans un parc de la ville pour faire fuir les jeunes qui y traînent, une affaire qui rappelle qu’il y a une quinzaine d’années, le métro londonien avait fait diffuser de la musique « ennuyeuse » (du Delius !) dans le même but. C’est consternant et dit tant sur notre société de l’instant, cloisonnée. C’est bien connu, « le classique c’est une musique de vieux », même si, a contrario, Jean-Christophe Spinosi et son ensemble Mattheus se sont produits fin juillet au Festival des Vieilles Charrues et ont fait un tabac devant des milliers de (jeunes) personnes.

Alors ? En fait, il faudrait un livre et plusieurs volumes pour répondre à votre question. Une mission du nouveau Ministère de la Culture ne serait peut-être pas inutile, non pas pour enterrer le problème, mais bien – enfin – pour le poser. Je pense qu’il est difficile de répondre à cela sans porter un regard beaucoup plus général sur la place des arts dans la société, à commencer par l’enseignement artistique, car c’est là que tout se joue, et sur le poids, le rôle des médias – en excluant Radio France, qui fait tout son travail dans ce domaine ! Rien n’est inéluctable, même une dictature, à commencer par celle des sondages et de l’audimat…

jan van huysum paysage arcadien aux pecheurs
J’aurais envie d’évoquer un souvenir personnel : enseignant en 1995, j’avais organisé un travail interdisciplinaire (français, anglais, histoire) autour de Lady Macbeth de Chostakovitch, qui devait se donner à l’Opéra Bastille. On avait commencé par me rire au nez – genre « Chosta pour des élèves du 9-3 qui n’ont jamais mis les pieds au concert » –, pourtant tout le monde s’est pris au jeu. Les deux classes concernées ont été fascinées par le sujet comme par les métiers de la scène (nous avons pu assister aux répétitions, voir les décors, discuter avec les gens en charge des costumes, les artistes…) Avec mes collègues, nous avons vu briller les yeux de certains élèves comme lorsque des gamins découvrent quelque chose de vraiment beau et dont le souvenir les marquera toute leur vie. Je sais trop que cet exemple personnel peut être multiplié par cent, mille et plus, grâce au travail passionné de milliers de professeurs, rencontrant les artistes grâce à des structures qui se sont développées, particulièrement ces deux dernières décennies. Alors, il faut souhaiter, et même exiger, que ce travail de fond ne soit aucunement remis en cause par je ne sais quelle austérité aveugle imposée partout (voir en ce moment les ravages sur la vie musicale allemande et les projets pédagogiques de ce type.) Il faut le développer, comme il faut faire valoir auprès des décideurs audiovisuels combien l’art est plus essentiel que jamais, au moment des crises économiques majeures. L’art – et non le commerce d’émissions avilissantes. Vaste programme, d'autant que se profile déjà un budget en forte compression pour l'audiovisuel public en 2013.

P.d.a. : Venons-en maintenant à Horizons chimériques. Quel a été votre propos en créant ce rendez-vous quotidien et quelles grandes lignes directrices donnez-vous à votre travail ? Quelles adaptations ont-elle été nécessaires pour vous accommoder du format contraint de 55 minutes d’antenne ?

M.D. : Derrière votre question, je sens une relation avec l’émission que je produisais les trois saisons précédentes, Grands Compositeurs, qui durait une heure et demie et même deux heures la troisième saison – une demi-heure supplémentaire m’avait été octroyée sans même que j’en formule le souhait ! C’est vrai que ce format réduit m’a posé beaucoup de questions en amont. D’autant que l’émission m’a été confiée avec comme cahier des charges de faire Grands Compositeurs et Grandes Figures (soit quatre heures d’antenne) en moins d’une heure. Plus qu’une gageure, une sorte de M.I. version France Mu… J’ai donc choisi de proposer un thème différent chaque jour ou, au plus, deux émissions autour d’un même thème. Dans un tel format, il y a, par ailleurs, moins de place pour des œuvres intégrales, le choix des partitions est donc encore plus ciblé. Alors, Horizons : Mission Impossible ? Ce n’est pas à moi de répondre, mais à l’auditeur.

P.d.a. : Lorsque l’on écoute Horizons chimériques, l’impression qui domine est celle d’une fluidité et d’une sobriété qui fait largement oublier le travail que représente la réalisation d’une telle émission. Pourriez-vous lever un coin du voile sur son élaboration en termes, par exemple, de choix des thèmes et des disques proposés, ou de conception de vos interventions à l’antenne ?

M.D. : Dans d’autres circonstances, La Fontaine aimait à répéter « Diversité, c’est ma devise » ; c’est un peu celle des Horizons, celle que j’essaie de faire vivre au micro en changeant non seulement les thèmes, mais aussi le rythme et si possible le style d’une émission à l’autre. Je mise sur la diversité des interventions, jamais longues, parfois très courtes, ainsi que sur mon envie constante de raconter une histoire, de suivre un fil, de donner à entendre, sachant que c’est le sujet du jour qui dicte l’histoire brossée en forme de portrait kaléidoscope, passant des tubes aux incunables. Le jeu sur la diversité et la multiplicité qui préside au travail de préparation est réellement excitant : d’un côté, le changement quotidien de sujet en fonction de tel opéra à l’affiche, tel anniversaire de compositeur, tel récital de soliste, tel festival ou partenariat France Musique, et de l’autre la possibilité de ménager des moments hors du temps.

joseph mallord william voilier approchant de la cote
Je tiens également beaucoup à un certain équilibre des genres : musiques baroques, classiques, romantiques, médiévales aussi, interprètes et enregistrements d’hier ou d’aujourd’hui. J’essaye d’aborder chacun de ces Horizons comme un chemin, avec l’envie de surprendre en jouant sur les rythmes, tant musicaux que radiophoniques, de frayer avec une discographie en trouvant des pépites. Sur ce dernier point, le fait de suivre depuis maintenant près de quarante ans, avec attention et gourmandise, les parutions discographiques m’aide un peu et m’autorise à varier les climats et les interprétations ; par exemple, en préparant un opus sur Palestrina comme sur Wagner, j’essaie de choisir des enregistrements qui permettent d’entendre des options différentes, des styles, des évolutions, et ce sur plusieurs décennies de discographie. C’est absolument passionnant à mijoter.

L’important, l’essentiel, en bout de chaîne (radiophonique) c’est bien que ce travail, cette cuisine ne se sente pas. Alors votre idée de fluidité me plait, car c’est le but sans cesse recherché.

P.d.a. : L’absence d’afféterie et la convivialité qui sont la marque de vos émissions en font des rendez-vous appréciés, y compris d’auditeurs écoutant d’habitude peu France Musique. Avez-vous une vision précise de votre auditoire et quel est le poids de ses retours sur votre travail ? Plus globalement, pensez-vous que la musique dite « classique » est proposée au public de la façon la plus adéquate, en termes de répertoire et d’accompagnement, par ceux qui sont chargés de la promouvoir ?

M.D. : Merci pour la convivialité et l’absence d’afféterie ! Cela correspond à une éthique et à ce désir de partage dont je parlais. Je souhaite juste que les auditeurs s’y trouvent et retrouvent bien. Mais en dehors de multiples courriels reçus qui vont dans ce sens, je ne sais rien de la réalité de l’auditoire. Qui, quand, comment, pourquoi ? Personne n’a jamais pu sonder les reins et les cœurs. Toutes choses égales par ailleurs, il me semble que nous sommes derrière notre micro comme un créateur devant sa page blanche, sa toile ou sa partition. Nous ne savons pas ce qu’attend le public – mais nous sentons ce que nous désirons communiquer – y compris à notre insu. C’est bien là la différence fondamentale entre une radio de l’offre comme France Musique et une radio de flux. Quant à la deuxième partie de votre question, il faudrait une année de votre blog pour y répondre, à plusieurs voix. J’ai d’ailleurs le sentiment que la façon dont vous posez le problème induit une réponse plutôt négative. On peut effectivement avoir ce sentiment, mais tout dépend de quoi nous parlons. Il me semble avant tout qu’il manque un décloisonnement. Nous avons deux chaînes thématiques « classiques » sur nos postes de radio, sans oublier les programmes de Radio Notre Dame ou Fréquence Protestante qui font une vraie place à ce répertoire. Mais ailleurs, où est le classique ? Les radios généralistes sont devenues pratiquement hermétiques au mélange des genres et quant aux radios thématiques, leur nom parle de lui-même. Sur internet, tous les mondes musicaux sont à portée d’oreille, de façon là aussi thématique. Et la télévision ? Le bilan est plutôt sinistre. Repensons à la promesse de Patrick Le Lay, au moment de la privatisation de TF1 : oui à la culture, à l’opéra et au classique en prime-time. On connaît le résultat : quelques concerts en boucle à trois heures du matin… La musique à la télé, c’est Lost story. Il paraît qu’il faut sans cesse divertir ; je préfère en revenir encore à mon cher La Fontaine : « Instruire et plaire », les deux devraient toujours faire la paire. C’est tout à fait possible. Sans racolage. Depuis une trentaine d’années, les responsables audiovisuels ont une très lourde responsabilité : culturelle, politique, idéologique. Ce sont des choix. A voir les Conservatoires partout pris d’assaut, on se dit que tout pourrait être possible, avec une volonté qui regarde vers le haut, vers le beau. Cela passe par les médias ; cela passe par l’éducation artistique à l’école. Autres vastes chantiers…

P.d.a. : France Musique lance aujourd’hui sa nouvelle grille de programmes. Avez-vous des projets précis, par exemple en termes de thématiques, pour cette nouvelle saison d’Horizons chimériques et en dehors de cette émission ?

achille lauge route bordee de genets
M.D. : Assurer une émission quotidienne ne laisse que peu de temps pour autre chose, c’est en tout cas ainsi que je fonctionne depuis cinq années maintenant, particulièrement avec les Horizons, qui nécessitent aussi de réagir à chaud en cas de décès comme ce fut le cas pour Montserrat Figueras, Gustav Leonhardt, Maurice André, Dietrich Fischer-Dieskau ou tant d’autres artistes cette saison. Au quotidien, il faut anticiper les sujets à venir, préparer l’émission du jour, écouter beaucoup, lire aussi, se tenir au courant de l’actualité musicale, mais aussi répondre aux auditeurs via le site internet, mis à jour pendant l’émission. Quant aux thématiques à venir, oui, je sais déjà où je vais vous mener. Alors, rendez-vous à partir de ce lundi 3 septembre, avec une chanteuse que j’adore : Simone Kermès, totalement, follement baroque !

Propos recueillis par Jean-Christophe Pucek en août 2012.

Le site de l’émission Horizons Chimériques est accessible en suivant ce lien.

Horizons musicaux choisis par Marc Dumont :

1. Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Naïs (1749) : Ouverture

Ausonia
Frédérick Haas, clavecin & direction

rameau que les mortels servent de modele aux dieux ausonia
Que les mortels servent de modèle aux dieux… 1 CD Alpha 142. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

2. Johann Adolf Hasse (1699-1783), L’Olimpiade, opéra en 3 actes (1756, livret de Pietro Metastasio) : « Consola il genitore » (Licida)

Simone Kermes, soprano
Davide Pozzi, clavecin
La Magnifica Comunità
Isabella Longo, premier violon

simone kermes dramma la magnifica comunita
Dramma. 1 CD Sony 88691963952. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

3. Frédéric Chopin (1810-1848), Fantaisie-Impromptu en ut dièse mineur, op. posth. 66, enregistrée lors d’un récital donné le 21 février 1948

Raul Koczalski, piano Pleyel 1847

chopin raul koczalski historical live recordings 1948
Historical live recordings. 1 CD Narodowy Instytut Fryderyka Chopina NIFCCD 000. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

4. Franz Schubert (1797-1828), Nacht und Träume, Lied D. 827 (1825, texte de Matthäus von Collin)

Matthias Goerne, baryton
Alexander Schmalcz, piano

schubert nacht und traume matthias goerne alexander schmalc
Nacht und Träume (anthologie des Lieder de Schubert, volume 5). 1 CD Harmonia Mundi HMC 902063. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Horizons picturaux :

Joachim Patenier (Dinant, c.1480-Anvers, 1524), Le Passage Du Styx, c.1515-24. Huile sur bois, 64 x 103 cm, Madrid, Musée du Prado

Jan van Huysum (Amsterdam, 1682-1749), Paysage arcadien aux pêcheurs, sans date. Huile sur toile, 57 x 68 cm, Amsterdam, Rijksmuseum

Joseph Mallord William Turner (Londres, 1775-Chelsea, 1851), Voilier approchant de la côte, c.1840-45. Huile sur toile, 102,2 x 142,2 cm, Londres, Tate Gallery

Achille Laugé (Arzens, Aude, 1861-Cailhau, Aude, 1944), Route bordée de genêts, 1931. Huile sur carton, 53 x 73 cm, Montpellier, Musée Fabre (cliché © Musée Fabre – Montpellier Agglomération / F. Jaulmes)


Retour à La Une de Logo Paperblog