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[note de lecture] "Petite Forme" de Christian Bernard, par Bruno Fern

Par Florence Trocmé

Petite-forme-christian-bernard-211x300Parmi les intentions des nouvelles éditions Sitaudis1 figure celle de refuser « épanchements mièvres ou pulsionnels et dispositifs clos sur eux-mêmes ». Promesse indéniablement tenue avec ce premier ouvrage dont l’enjeu est exposé par la phrase de Jules Laforgue mise en exergue : « Moi, n’est, dit-on, qu’un polypier fatal ! »2 En effet, à travers cette suite de 50 sonnets classés dans l’ordre alphabétique de leurs titres, de Chapeau (logique) à Zibeline (la poésie pour tenter de sauver sa peau, malgré tout ?), ce livre pourrait se lire comme un autoportrait autant constitué que diffracté par l’écriture, histoire de sonner en échos à cette fameuse affirmation de Baudelaire : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là. »3   
Sonnet signifie ici un texte comptant 14 vers, la plupart du temps non rimés, disposés le plus souvent ainsi qu’on peut s’y attendre (même si on rencontre des répartitions moins habituelles que le 4-4-3-3 : 10-4 ; 6-8 ; 2-10-2 ; etc.), ajustés ou pas à la syntaxe selon « le scanseur de la coupe » et de longueur différente bien qu’approximativement régulière à l’intérieur de chaque poème, l’alexandrin étant une espèce rare – l’un d’eux est emblématiquement le premier vers du sonnet intitulé Pavane. Christian Bernard a donc fait le choix d’un format plutôt court4 que le titre ne désignerait pas seulement car de J. Laforgue il n’y a sans doute pas à retenir que la thématique d’un sujet aussi incarné que précaire5, n’ignorant ni sa singularité ni en quoi il appartient au commun (des mortels – condition fréquemment rappelée), mais également une tonalité dominante à la fois légère et grave, une danse hantée par sa fin. Se garder de toute grandiloquence en faisant preuve de lucidité envers ce que peut la poésie, voilà ce à quoi Petite Forme semble autant renvoyer : « Tout ce fatras ce foutu petit tas / de secrets misérables en faire un feu / de joie pleurer deux larmes de lait caillé / compisser dru les pommiers du jardin / d’Eden » (Chapeau).  
 
Cela dit, pas question de sombrer pour autant dans un minimalisme qui ferait du poème le lieu d’une platitude creusée jusqu’à l’inconsistance. Bien au contraire, au-delà d’un subtil travail formel (que le substantif du titre évoque aussi), ce livre multiplie les degrés et les angles d’attaque du sujet supposé éprouver ou, du moins, énoncer, tressant éléments autobiographiques les plus divers (événements intimes ou liés aux activités professionnelles de C. Bernard6), références dites savantes ou pas (de Lucain à Gaston Lagaffe) et souvent détournées avec malice (« La prose du monde est sans pourquoi » ; « l’aurore aux doigts moroses » ; « Je est un antre une auge un ange un cloaque / de sécrétions »), réflexions d’ordre philosophique ou métapoétique, etc. En somme, il s’agit d’un lyrisme à géométrie très variable qui fait que le lecteur trouvera heureusement de tout, « – Autant d’inventions futiles que de / sémaphores aphasiques autant de crash / tests que d’anges blancs nickelés » (Multipiste). 
    
[Bruno Fern] 
 
1. Éditions Sitaudis 
2. Ballade 
3. Mon cœur mis à nu 
4. C. Bernard n’oublie pas de saluer celui qui fut le premier à en écrire en français : « – Merci Marot merci pour cette contrebande des lignes / comptées quatorze à longueur de temps variable à discrétion »   
5. Les évocations de tout ce qui  touche à « l’autre de soi » ne manquent pas : photographie, hologramme, clone, fantôme, masque, pantin, mannequin, etc. –  de plus, certains passages sont imprimés de façon à n’être lisibles que dans un miroir… 
6. Concepteur et directeur du Mamco (Musée d'art moderne et contemporain de Genève). Ancien directeur de la Villa Arson (Nice). Critique d'art.  
Christian Bernard, Petite Forme, éditions Sitaudis, 2012, 12 €.  (lire un extrait)


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