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La chronique de Serge SUPERSAC : L'armée dans le quartier ?

Par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Coup de tonnerre médiatique de cette fin d’été, une sénatrice des Bouches du Rhône préconise le recours à l’armée pour endiguer la vague de violence qui sévit actuellement à Marseille. Ce qui n’aurait dû être "qu’une conversation de bistrot" a pourtant été abondamment relayé par l’ensemble des médias. Il semble donc que la confusion la plus totale règne en matière de sécurité, même parmi certains élus du pouvoir législatif. Si l’on ajoute à cela que de plus en plus de voix s’élèvent pour affirmer que la politique du nouveau ministre de l’intérieur ressemble à celle de l’ancien d’un autre gouvernement on peut légitimement penser que la stratégie d’ensemble des forces de sécurité ne va donc pas radicalement changer. Dans ces perspectives, l’avenir de la sécurité intérieure peut  apparaître comme incertain puisque personne ne peut raisonnablement affirmer que depuis dix ans la situation se soit améliorée en matière de criminalité et de violence.

Criminel avec AK47.jpg

La nature du problème :

La police Marseillaise est confrontée à une forte augmentation  d’homicides qui apparaissent comme des règlements de compte avec pour toile de  fond, le trafic de stupéfiants. Cette évolution qui semble surprendre les commentateurs correspond pourtant à une logique et le manque d’anticipation concernant ce phénomène démontre bien les carences stratégiques. En effet depuis très loin dans l’histoire cette ville est connue pour sa délinquance et son corollaire, la violence. En revanche ce qui a changé ces dernières années c’est la structuration de la criminalité. L’organisation criminelle est aujourd’hui toute autre, plus de parrain chef d’un réseau très hiérarchisé tout simplement  parce que les forces de sécurité ont appris à lutter contre ces réseaux or dans ce type d’organisation il suffit de tirer un fil pour démanteler l’ensemble. Il existe donc toujours une organisation mais elle est faite de petites structures distinctes, spécialisées et indépendantes les unes des autres. Pour le trafic de stupéfiant qui est, je le rappelle l’activité criminelle la plus lucrative pour un risque minimum, les grossistes approvisionnent une myriade de petits commerces dont ils n’ont aucunement besoin d’assurer la pérennité car si le réseau de quartier tombe, le lendemain un autre micro réseau prendra la place vacante. Pour l’anecdote il faut signaler que dans certains cas des points de « deals » ont carrément été vendus dans le principe de la vente d’un commerce classique sans toutefois que le notaire ait été consulté.  Ainsi la guerre des réseaux pour tenir les points de vente ne se réalise plus entre deux mafias qui cherchent à obtenir le monopole sur une ville mais entre des dizaines  de micro réseaux qui cherchent à exister sur une zone et le cas échéant à s’étendre. C’est donc non plus deux chefs mafieux qui s’affrontent mais des milliers de revendeurs sans que précisément le grossiste ne soit inquiété.


On peut par ailleurs, s’interroger sur l’augmentation de ces rivalités ces dernières années ? Plusieurs paramètres interviennent. Ce que l’on constate c’est que les aspirants au trafic sont toujours aussi nombreux  en raison de l’aspect lucratif mais dans le même temps en revanche on perçoit que le marché pourrait avoir atteint sa limite. En effet, lorsque l’on observe le chiffre des saisies en matière de cannabis, qui reste le produit phare du trafic, on se rend compte qu’il stagne. Si les saisies baissent ou stagnent, ce n’est pas parce que la force de sécurité est moins performante c’est plus simplement parce que les flux du trafic sont moindres. En effet, le chiffre  global des saisies doit être rapporté en pourcentage de l’ensemble du trafic et non en indice d’efficacité des services. On peut donc raisonnablement penser que sur ce marché prohibé à Marseille, la limite a été atteinte dans une offre de produit  supérieure à la demande. Un marché saturé crée évidemment des tensions "commerciales" or, dans le cas présent, celles-ci ne se règlent pas au tribunal de commerce.

Il y a quelques années, j’avais remarqué que la guerre qui faisait le plus de victimes était non l’un des théâtres d’opérations connus tel que l’Afghanistan mais c’était la guerre du narco-trafic dont le Mexique reste le pays qui paie le plus lourd tribut, environ 10.000 morts par an ! J’avais en cette occasion prétendu que les mêmes causes produisant les mêmes effets il était important d’observer de près la situation dans notre pays………

Le quartier :

Alors dans ce contexte pourquoi le lien est fait entre le quartier et la criminalité ? Tour simplement parce que dans le quartier il existe de très nombreux points de vente. Je rappelle d’ailleurs à cet égard que c’est la puissance publique qui a fait refluer l’ensemble du trafic dans le quartier car le deal de centre-ville au plus près des clients potentiels, était insupportable pour les élus dans les années 80. A Paris par exemple, lorsque l’on a fait disparaître "l’ilot chalon" chacun savait bien que le problème était déplacé mais pas traité. Le quartier sensible est une zone d’accès compliquée pour la force de sécurité, de par l’architecture bien sûr mais surtout de par la proximité du domicile qui reste un endroit logiquement très protégé dans le droit Français. La présence de la force de sécurité est forcément plus intrusive à proximité des domiciles que dans une zone commerçante du centre-ville. Bien sûr il y a des solutions tactiques mais encore faudrait-il les faire émerger et les mettre en œuvre…………

La seule chose intéressante qui m’est apparue dans le commentaire de cette élue, c’est qu’elle voulait défendre les habitants de ces quartiers sensibles. En cela, elle a raison car ce que l’on a trop tendance à oublier c’est que dans ces quartiers paupérisés, la majeure partie des habitants souhaite vivre en sécurité car la peur est une souffrance supplémentaire qui leur est infligée en plus des difficultés économiques. Donc l’idée ce serait de boucler le quartier avec des moyens militaires afin de dissuader les clients. Le seul problème concernant cette brillante suggestion c’est qu’elle est la démonstration de la totale méconnaissance des réalités de la sécurité. A cet égard je rappelle simplement que l’administration pénitentiaire se révèle  incapable d’empêcher la circulation des  produits stupéfiants dans les prisons ! A partir de ce constat on peut mieux comprendre l’utopie de la proposition. 

Le fantasme :

On peut aussi préciser  que l’effectif des forces de sécurité,  gendarmerie et police, est supérieur à celui actuel des armées (Terre-Air-Mer) ce qui peut donner facilement la limite du potentiel renfort. Enfin, je signale également puisque cela semble nécessaire  que si les menaces auxquelles sont confrontées les forces de sécurité intérieures et de défense, peuvent parfois converger les missions respectives n’ont rien de commun. La mission de police est de réguler la paix civile, celle de défense est de mettre hors d’état de nuire les ennemis potentiels, on peut donc convenir que les objectifs sont assez différents d’autant que le cadre d’emploi et l’usage de la force sont également très différents. Pour mémoire il y a quelques années la ville de Saint-Dizier a vécu un épisode assez dur de violences urbaines, pour autant, fallait-il faire intervenir les avions de chasse de la base aérienne ?

Ainsi au-delà des fantasmes divers en matière de sécurité cet appel me rend perplexe quant à sa prise en considération par l’opinion publique. Il faut arrêter je crois de berner la population sous peine d’avoir un jour un réveil douloureux concernant la paix civile. Depuis trop d’années maintenant, on fait croire que la force de sécurité intérieure peut régler à elle seule les préoccupations de sécurité et qu’elle doit le faire selon un mode exclusivement offensif. Or l’urbanisation et l’irruption d’une délinquance de masse ont bousculé les certitudes initiales. Le citoyen doit aujourd’hui être davantage acteur de sa propre sécurité et la force de sécurité intérieure sera d’autant plus efficiente qu’elle sera en phase avec les réels problèmes de ces administrés. A titre d’exemple je peux citer le vol d’autoradio qui était le chiffre plombant la statistique des années 80, aujourd’hui ce chiffre a fortement diminué mais c’est du plus à la démocratisation et au mode de protection de l’objet qu’à une meilleure efficacité des forces de sécurité.  

La mission de police doit se réaliser sur deux piliers, l’un dit de police administrative et l’autre de police judiciaire pour les non-initiés il est plus explicite d’affirmer qu’il y a deux métiers de police. L’un est d’être auxiliaire de justice, ce policier enquête et travaille sous contrôle du magistrat dans le cadre de la procédure pénale. Loin du policier de série télévisée, ce policier passe la plupart de son temps derrière son écran d’ordinateur tant la délinquance de masse a accru sa charge de travail et il intervient le plus souvent en réaction au crime et au délit donc forcément avec un temps  de retard. L’autre travail de police est le travail de voie publique, celui-ci doit connaître "la rue" et ce qui s’y passe. Ce policier contrairement à l’autre doit entretenir  un contact avec la population et doit acquérir de l’expertise  dans la gestion des conflits. Plus ce policier travaille sur le terrain et plus il est efficace dans sa tactique d’intervention et dans le renseignement opérationnel qu’il peut rapporter à ses collègues de l’investigation. Aujourd’hui ce travail de terrain est négligé au profit de l’investigation sauf que la masse d’infractions a fini par noyer les policiers dans la procédure qui s’est singulièrement complexifiée ces dernières années. La force de sécurité actuelle est donc unijambiste et trop coupée de la population. Retrouver de l’efficience dans le dispositif passera par retrouver de la proactivité grâce au travail de police administrative. En matière de sécurité incendie on a largement développé la prévention car il a été compris  qu’il vaut mieux un extincteur à portée de main qu’une caserne à quelques kilomètres, il en est de même pour la sécurité des personnes et des biens.

Et c’est là que l’histoire Marseillaise se révèle être particulièrement intéressante car si c’est une ville qui doit vivre une délinquance particulièrement violente, c’est une ville qui ignore les épisodes de violences urbaines telles qu’ils viennent encore récemment de se produire à Amiens, Grigny etc. En effet la cité phocéenne n’étant pas à un paradoxe près, elle recèle un dispositif de police unique en France qui a fait ses preuves en matière de gestion des conflits dans un objectif de régulation de la paix civile. Une étude complète est en cours de réalisation sur ce sujet et sera disponible en fin d’année.

En somme depuis trop d’années on parle de militarisation de la police ce qui a vraisemblablement induit l’idée que si la police est impuissante à gérer la criminalité il faut  accroître le recours à la force et donc naturellement faire appel à la puissance militaire. C’est oublier que la régulation de la paix publique ne se limite pas à gagner un rapport de force contre les potentiels méchants ! On ne fait pas la guerre contre la drogue ou la criminalité, il faut assurer la paix publique au moyen d’un cadre très précis.  Dans une démocratie la mission de sécurité intérieure est particulièrement encadrée par une magistrature garante des libertés individuelles et collectives. En revanche une démocratie n’est pas inéluctablement faible contre la délinquance, sa force de sécurité doit évoluer, innover et ne pas masquer ses échecs par un supposé manque de moyen. A Marseille ce n’est pas 300 policiers supplémentaires qui feront la différence !

La hiérarchie de la police qui idolâtre l’armée allant jusqu’à se fabriquer des épaulettes avec des marques ressemblant étrangement aux étoiles des généraux est une hiérarchie qui se dédouane de ses échecs en matière de sécurité exclusivement par le supposé manque de moyens. Evidemment, il est plus simple pour le responsable d’affirmer qu’il lui manque des moyens plutôt que d’avouer son incompétence. Cette hiérarchie obsolète doit céder la place à une hiérarchie qui doit urgemment élaborer de nouvelles stratégies afin que les policiers puissent adapter leur tactique dans un paysage de sécurité cohérent. Enfin, pour ceux qui affirment qu’en rognant sur les libertés publiques il sera possible d’assurer une meilleure sécurité, je précise que les  Etats totalitaires  n’ont jamais fait la démonstration de leur efficacité en matière de criminalité, au contraire, corruption et autres tares du système prospèrent. La sécurité intérieure correspond à des logiques et elle ne peut être une sorte d’exutoire pour ceux qui prônent la manière forte à tout prix d’autant que, généralement, ceux qui proposent la guerre…ne sont pas ceux qui la font.

Gilles SUPERSAC


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