Le soleil ne s’était pas encore levé mais la tête bouillonnante de l’ivresse de la veille, il se réveilla. Le lampadaire de la rue jetait une lueur blafarde. Il ouvrit le portefeuille de son lit. La veille au soir, après avoir traîné dans les cabarets et vidé bien des bocks, il avait eu une discussion avec sa compagne du moment. Dix ans déjà qu’ils vivaient ensemble et qu’ils dissipaient leur vie et leur argent. Elle n’en pouvait plus de leurs débauches successives.
Elle lui avait fait jurer qu’à l’issue d’une dernière nuit de débauche à Charleville, ils allaient changer de vie. Il l’emmènerait « dans un petit wagon rose »… Elle trouvait ça mignon comme idée. C’était de circonstance ! Elle avait lu ça dans Rimbaud. Oh, elle ne demandait pas grand-chose. Simplement un peu plus d’égards et de romance. Et il avait juré d’arrêter la boisson. Elle s’était endormie brutalement, ravie par cette idée, et le sommeil du ravissement l’écrasait encore.
Sans faire de bruit, il enfila son maigre pantalon, sa chemise, ramassa la menue monnaie qui restait sur la table. Un bruit plat tomba au fond de ses poches. Il ouvrit la porte. L’air du matin le fit tituber. Il descendit à grands pas la rue qui mène à la Meuse.
Une lueur commençait de pointer tout au bout des méandres de la rivière, quelque part dans le temps. Il avançait vite sur le sentier. La rumeur du beffroi s’étouffait. La ville s’évanouit. La campagne s’allongeait. Dans un tas de fougères fraiches, enfin il se laissa aller. L’aube d’été pouvait maintenant arriver. Il saurait bien l’embrasser, il en avait vu d’autres. Quand il se réveilla, il était midi. Il avait soif.