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Je suis noir et je n'aime pas le manioc, de Gaston Kelman

Publié le 06 septembre 2012 par Onarretetout

kelmanEdité en 2003, on pourrait penser que ce livre n'est plus d’actualité. Pourtant…

Les idées préconçues à propos des Noirs sont toujours aussi vivaces. Gaston Kelman, Bourguignon noir, se bat pour qu’on cesse de lui demander de quel pays d’Afrique il vient, lui qui n’a pas choisi la couleur de sa peau, mais a choisi le pays où il vit. Je me souviens avoir demandé à un jeune homme, qui avait un accent du Nord de la France, d’où il venait ; sa réponse m’a donné le pays d’où ses parents étaient venus avant sa naissance, un pays du Sud… Il m’arrive aussi (il y a moins d’une semaine encore), à moi qui ne suis pas noir, qu’on demande de quelle origine je suis, parce que mon nom fait évidemment penser à un pays néerlandophone. J’ai aussi connu un enfant rentrant de l’école (c’était autour de l’an 2000) triste de n’avoir « pas d’origine », lui qui était français de naissance.

Pourquoi cette question de l’origine ? Et pourquoi pas, plutôt, la question « Mais où va-t-on se rencontrer ? » (sortie d’une série d’ateliers d’écriture menés en 2000 dans les MJC du Val Maubuée – 77 –) ? Ou encore « Qu’est-ce qu’on va faire ensemble ? »… Sans doute parce que cette question de l’origine cache des sous-entendus, que Gaston Kelman laisse transparaître à travers les blagues qui ouvrent chaque chapitre. Il ne s’agit pas pour lui de pointer les Blancs ou les Noirs. Il s’évertue à dénoncer les a priori de part et d’autre. Les titres de ses chapitres le montrent : Je suis noir et je suis civilisé – Je suis noir et je suis assimilé – Je suis noir et je suis bourguignon – Je suis noir et je suis cadre – Je suis noir et ma fille est marron – Je suis noir et je n’aime pas les Blacks – Je suis noir et j’en ai une petite – Je suis noir et je n’en suis pas fier – Je suis noir et je me soigne.

Ses propos se nourrissent de son expérience dans une Ville Nouvelle (Evry – 91 –) tout comme de sa lecture d’Aimé Césaire, entre autres. Ils montrent comment le racisme ordinaire s’installe dans nos têtes, ce qu’il doit au traitement infligé à Sarah Baartman au XIXe siècle, tout comme aux images que l’esclavage et le colonialisme ont véhiculées ; par exemple, le fait que les Noirs ont le rythme dans le sang, une façon, selon lui, de réduire les Noirs à la fonction de distraire les Blancs, alors que ce qu’il y a dans leur sang, ce sont « des globules rouges et des globules blancs ». A propos de cette fonction de distraire les Blancs, Maryline Desbiolles, dont je viens de lire un livre (il en sera question demain sur ce blog), y décrit une « statuette d’enfant nègre » en ces termes : « l’enfant jovial, ainsi que les Blancs se figurent les Noirs ».

Une série de questions conclut le livre de Gaston Kelman : « Maintenant que le Noir a compris qu’il est appelé à s’installer dans la durée, est-il paré pour trouver sa vraie place au sein de sa nouvelle société ? A-t-il compris que si la guerre éclate, le sang de ses fils coulera pour la France et non pour son pays d’origine ? Peut-on être noir et tout simplement français ? Le racisme, réel souvent et supposé parfois, doit-il être un frein à la citoyenneté comme c’est le cas chez les Blacks ? Existe-t-il un espace de compromis (marron) qui permette au Noir d’être entièrement Français ? Que peut apporter le Noir à sa nouvelle patrie ? Que doit faire celle-ci pour l’accueillir ? »

Depuis ce livre, qui a provoqué des débats parfois houleux, Gaston Kelman a en a publié d’autres : Au-delà du noir et du blanc (2005) - Parlons enfants de la patrie (2007) - Les blancs m'ont refilé un dieu moribond (2007) - Les hirondelles du printemps africain (2008) - La bible de l'humour noir (2012). Il a aussi participé au cabinet d’Eric Besson, de juillet 2010 à mai 2011, affirmant, lors de sa démission : « Je souhaite tellement que les choses bougent, que je souperais avec le diable, même avec une courte cuiller. »


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