Le lien familial

Est-il naturel d’être lié à sa famille ? On parle des liens du sang ou de l’amour maternel comme si c’étaient des réalités naturelles, à la fois constantes et évidentes. Mais les données biologiques suffisent-elles à unir les membres d’une famille ?

Ce qui est naturel, c’est que le nourrisson puis le jeune enfant soient surveillés, nourris et protégés par des adultes. L’enfant a par nature besoin de ses parents pour vivre et se développer. D’autres peuvent s’y substituer, mais la fonction parentale demeure, qui est de veiller sur l’enfant.

Jusque-là, tout s’explique par la nature. Mais quand on dit qu’il est naturel que les parents prennent soin de leurs enfants, le mot naturel n’a plus le même sens, mais désigne ce qui est normal, souhaitable, sans être toujours le cas. En disant cela on estime que ceux qui ont donné la vie ont le devoir d’en prendre soin, et que la procréation crée une obligation nouvelle à l’égard du nouvel être.

Est-il naturel que les enfants obéissent à leurs parents ? Oui, aussi longtemps qu’ils ne peuvent subsister et décider seuls. Mais dès qu’ils sont en âge d’être parents à leur tour et d’entretenir une famille, ils deviennent maîtres d’eux-mêmes et ne sont plus tenus en rien d’obéir à leurs aînés.

Si, majeurs, les “enfants” continuent d’obéir, ce n’est pas que la nature l’exigerait, elle qui leur a au contraire donné les moyens de vouloir par eux-mêmes, à égalité avec leurs parents ; mais c’est qu’ils jugent cela agréable, ou judicieux, ou sage. Le lien a donc changé d’étoffe, et de naturel est devenu consenti, accepté, bref volontaire.

La famille, disait Rousseau, ne se maintient que par convention, c’est-à-dire par l’accord implicite de ses membres. La volonté prend le relais de la nature, et transforme la famille en réalité politique.