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Les travaux de l'infime

Publié le 08 septembre 2012 par Tecna

Les travaux de l'infime

On entre dans un nouveau silence.
On ne sait pas s’il a un nom.
La neige le recouvre et l’éclaire.
On ne sait rien. On ne saisit qu’un
mouvement de doigt dans la lumière,
un visage, la pause d’un pied,
On entre dans ce qu’on ne sait pas.
*


Dans ce qu’on ne sait pas
il y a ce qu’on sait et autre chose.
On reconnaît le coussin, le carrelage,
la tasse, le livre, la lampe,
mais il y a ce vide que met le regard,
une sorte de battement de cil.
Sans savoir, on entre dans l’infime.
*


Mais dans l’infime, on n’entre pas.
On y est, soudain, sans le savoir.
C’est un fourmillement, une buée où
chaque gouttelette reflète toutes les autres,
où jour et nuit sont un même crépuscule,
une même aube, peut-être,
on ne sait pas. On est là.
*
Quelque chose passe d’un état
à l’autre, mais rien ne bouge.
Les objets se serrent comme si
tout autour le vide les cernait.
Poudre, étincelle, une empreinte
d’oiseau juste au pied de la montagne,
un silence, un cri.
*
On avance dans ce qu’on voit,
mais ce qu’on ne voit pas insiste :
ce geste sur la vitre arrêté
entre journal et nuage, cette trace
dans l’air, de la lumière qui se retire.
On s’arrête. Des mots tombent comme
des feuilles. On ne les entend plus.
*
Ou si on les entend, ce sont les mêmes images :
paysage de neige avec arbres,
lueurs, traits d’encre sur le blanc,
un tremblement de mésanges, des ombres
un instant trop nettes, le ciel trop
vaste, soudain – on voudrait comprendre –
la lumière trop vive d’être mortelle.
*
On écrit les dates. La neige les couvre.
Les choses sortent d’une lueur pâle.
Elles sont nettes et montrent leur face
cachée. On les reconnaît à peine.
Terre et ciel ont échangé leurs noms.
Des oiseaux tombent comme des pierres.
Le silence ressemble à la peur.
*
Du bleu s’arrête dans le chêne.
cherche, dit une voix, la mort a des yeux
crevés, elle ne voit pas le jour. On compte
sur ses doigts pendant qu’il en reste. Une pie
entre et sort du regard et des cris
nous rattrapent. Trop tard souffle une voix,
trop tard. On écoute la neige.
*
Ce qu’on entend est sans mot. On en cherche un
pour comprendre. Il y a comme un goutte à
goutte quelque part. Tout près, un bruissement
ou, moins, un souffle. On s’est arrêté
de bouger. La main, le pied, la tête
sont comme dans le sommeil. Le corps attend.
Quelque chose vient, on le sait.
*
Dans le noisetier, c’est une sorte
de vapeur noire, malgré le jour.
Des corneilles tournent dans les feuilles
et disparaissent. Des mains se cherchent,
des yeux. Une bouche égrène un compte
obscur. Les branches montrent le vide :
on ne le voit pas mais on le sent partout.
*
On dit quelle horreur. Le merle
émerge du blanc. Combien de temps
lui reste-t-il ? Mésanges, sitelles
ne vont bientôt être que leur nom.
La neige scintille. Un œil
fixe le temps. On répète quelle horreur.
Le jour ressemble à la nuit.
*
On est là, en équilibre.
La lumière est traversée
d’ombres brèves. On reste un peu encore
pour l’espace, les branches, le merle,
pour les corps un instant dans le jour
sans nom, pour ce qui ne revient pas.
On reste un peu encore pour ce qui reste.
*
On est assis dans la lumière. Le jour
réunit ses couleurs. Le matin ressemble
à un visage qu’on a pu entrevoir.
On se contente de regarder, mais sous les yeux
se fait un obscur travail d’images
où les choses rejoignent leur nom.
Quand elles le touchent, elles s’effacent.
*
En attendant. On s’est remis à compter :
les têtes et les feuilles, les heures et les ombres.

Les livres, eux, ressemblent aux livres
sauf si on les ouvre. Dans les yeux
le monde est une goutte de feu.
Des noms y brûlent. Quand ils s’éteignent
on a cru voir quelque chose.
*
On a cru voir, mais on n’a rien vu.
Rien qu’un simple oiseau noir traversant
un ciel couvert où des branches font des signes
qui n’en sont pas. On se tait. Les mains poursuivent
des objets invisibles ou peut-être
une forme d’air. On ne sait pas
ce qu’on cherche, mais c’est là, on le sent.


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