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La Bourse est-elle keynésienne ?

Publié le 09 septembre 2012 par Copeau @Contrepoints

L’interprétation naïve selon laquelle la politique de la BCE serait applaudie amoureusement par les marchés ignore totalement leur mode de fonctionnement.
Par Acrithène.

La Bourse est-elle keynésienne ?

Voilà un paradoxe, pour ne pas dire un chagrin d’amour, sur lequel il convient de se pencher. Alors que les libéraux chantent leur passion des marchés à qui veut bien encore les écouter, les marchés, de leur côté « euphoriques » (Challenges), « applaudissent » (L’Expansion, Le Figaro) voire « plébiscitent »  (Boursorama) le keynésianisme monétaire de M. Draghi.

De fait, le CAC40 a bondi de plus de 3% en réaction à la promesse de la Banque Centrale Européenne d’un rachat massif des dettes publiques des pays européens fragilisés. Par cette réaction positive, c’est comme si la bourse avait choisi l’amour vache, louant les recettes de ses détracteurs plutôt que de ses défenseurs. C’est mal la connaître…

L’interprétation journalistique

Pour un journaliste, la bourse monte lorsque la confiance des investisseurs s’améliore. Et il semble logique et imparable que plus le futur d’une entreprise semble prospère, plus le cours de son action s’envole.

Mais doit-on conclure que toute hausse de la bourse est synonyme d’un plus grand optimisme des investisseurs ? Pour aller aussi vite en besogne, il faudrait que l’optimisme des investisseurs soit le seul déterminant du cours d’une action. Or ceci est faux…

Un peu de vraie finance

Un petit détour est nécessaire par un élément central de la théorie financière, le CAPM (capital asset pricing model), et dont l’essentiel des outils de valorisation utilisés par les financiers est dérivé.

Ce modèle repose sur deux hypothèses clés :

  • Les investisseurs aiment l’argent,
  • Mais ils n’aiment pas le risque.

Pour en donner une explication graphique, posons un repère où je puisse placer les actions des entreprises en fonction de leur niveau de risque et de rentabilité escomptée.

La Bourse est-elle keynésienne ?

En mélangeant les actions, je peux définir une infinité de portefeuilles de titres et dessiner sur mon graphique une région correspondant à leur profil rentabilité/risque. Seule la frontière Nord-Ouest de cette région est digne d’intérêt. En effet, tout point au Sud de cette frontière présente une rentabilité moindre pour un risque égal, tandis que les points à l’Est présentent un risque plus grand sans contrepartie en termes de rentabilité. Les acteurs du marché essayeront donc de tous composer des portefeuilles d’actions les plaçant sur la frontière Nord-Ouest.

La Bourse est-elle keynésienne ?

Par ailleurs, on trouve sur les marchés financiers un titre particulier, l’obligation à court terme d’un État solide. Cet actif est réputé sans risque dans la mesure où son rendement est défini à l’émission et que la probabilité de défaut de l’émetteur – disons l’Allemagne – est négligeable d’ici l’échéance. On peut placer cet actif sans risque à l’extrême Ouest de notre carte, et plus ou moins au Nord selon sa rentabilité.

La Bourse est-elle keynésienne ?

Considérons désormais une droite reliant l’actif sans risque à un portefeuille d’actions risquées. Tout point de cette droite est atteignable, par métissage de l’actif sans risque et du portefeuille considéré. Et par analogie au raisonnement développé plus haut, seule la droite ainsi traçable la plus au Nord-Ouest est digne d’intérêt. Et similairement, le seul portefeuille d’actions intéressant est celui définissant la droite la plus au Nord-Ouest.

Dès lors qu’on considère les investisseurs de manière agrégée, le portefeuille qui définit cette droite la plus au Nord Ouest décrit la situation du marché boursier dans son ensemble. Le point représentatif de ce portefeuille décrit donc, pour prendre un petit raccourci, le profil rentabilité/risque du CAC40.

Que fait la Banque Centrale ?

La Banque Centrale vient d’annoncer qu’elle achèterait de manière massive des obligations d’État dans le but d’en faire baisser les taux. Il faut donc s’attendre à ce que la rentabilité des obligations d’État baisse.

Sur notre graphique, l’effet de cette politique est de déplacer le point représentant l’actif sans risque vers le Sud. Ce déplacement vers le Sud provoque aussi un déplacement de notre droite, et donc un déplacement du point représentatif du Marché. Ce dernier déménage en effet vers le Sud-Ouest. Et on remarquera en particulier que sa rentabilité est en recul.

La Bourse est-elle keynésienne ?

À ce stade du raisonnement, il est important de rappeler que la rentabilité est le ratio des profits d’une firme sur sa capitalisation boursière.

Rentabilité=[Profit]/[Capitalisation]

Et donc, en réarrangeant, on obtient :

Capitalisation=[Profit]/[Rentabilité]

Or nous venons de montrer que la rentabilité attendue du CAC40 avait chuté, ce qui dans la formule qui précède se traduit par une hausse de la capitalisation. Et ce indépendamment des profits espérés.

Une parabole

Si je vous ai perdu en route, ou que mon raisonnement peine à vous convaincre, permettez-moi de vous conter une parabole.

Imaginons que demain, François Hollande mette fin à son régime. Cette décision provoquerait à coup sûr une tension sur le marché des Pepitos. Comme les Pepitos et les Granolas sont des produits relativement substituables, il y a fort à parier que la consommation et le prix des Granolas s’envoleraient aussi.

Alors, pourrions-nous, à la suite des journalistes, conclure que lorsque notre Président mange des Pepitos, il améliore le goût des Granolas ? Ou encore que la fin de son régime est applaudie et plébiscitée avec enthousiasme par les amateurs de biscuits chocolatés ?

Conclusion

L’interprétation naïve selon laquelle la politique de la BCE serait applaudie amoureusement par les marchés ignore totalement leur mode de fonctionnement. En particulier, elle néglige que l’optimisme n’est pas la seule cause de hausse boursière.

Les actions et les obligations d’État sont deux produits en concurrence auprès des investisseurs financiers. L’action de la Banque Centrale est de forcer artificiellement la hausse du prix des obligations d’État, les rendant moins attractives et détournant les investisseurs vers les marchés actions.

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