Lausanne, Suisse 20h15, arrivée quai n°5. Une gare remplie de mecs en jeans coupés trop courts avec débardeurs extra-larges et de nanas (mot non utilisé depuis 1997) tatouées aux cheveux avec un côté rasé (pour se faire une idée checker girls look like skrillex). Non, vous n’êtes pas dans la capitale de la kétamine mais dans une ville en temps normal pépère qui va pourtant vivre, le temps d’un week-end, sous le rythme de la techno, l’electro, l’house, l’acid ou encore le dub. On ne pouvait pas louper ça.
Vendredi
C’est exténué par le travail de la semaine, d’une soutenance de mémoire expéditive et de nombreuses heures de trains que nous arrivons place du Fion, euh Flon pardon). Il est 23h, les gins tonic qui donnent mauvaise haleine aidant, nous sommes plongés d’entrée dans l’ambiance grâce au set en extérieur de Todd Terje qui confirme tout le bien que l’on vous a déjà dit de lui. Certains sont déçus et attendaient plus, nous, nous n’irons pas dans ce sens là, mais serons plutôt légèrement étonné de le voir jouer si tôt. Enfin, cela peut s’expliquer par l’envie de l’organisation de faire jouer l’auteur du remix couché de soleil de l’année (Nothing Gold de Joakim, dont on reparlera plus tard) en extérieur sur la scène Red Bull qui ferme assez tôt. Pas d’échauffement donc, départ du marathon techno façon Yohan Blake.
En parlant de sprinter jamaicain, nous allons retrouver, dans la salle mythique lausannoise Le Romandie, l’un de ses confrères, le roi de la dub, j’ai nommé Mad Professor. Sosie officieux de Carl Cox, il est accompagné d’un MC dont on se fout royalement, incapable d’avoir un vocabulaire autre que ce que l’on déteste dans le reggae. Exemple : « Yo rastaman, peace love & unity yo rastafary ». Putain c’est relou, parce qu’en plus le dj met plutôt la sauce et fait bien bouger les dreads des rastamen blancs à lunettes, qui mélées à l’odeur de la weed locale consumée, dégagent une odeur exquise (by the way, pourquoi les rastamen blancs ont toujours des lunettes de vues très fines du genre celles proposées par afflelou à 1€, opération Tchin Tchin ?). On appréciera également que cette musique fasse rebondir certains boulards oversize, mais ça c’est gratos.
Les passages aux ravitos sont de plus en plus fréquents, dans des zones autorisées ou non (prends ça Yohann Diniz) et l’on traine nos Asics (c’est pour la métaphore du marathon hein…) jusqu’au D ! Club, là où Ame est en train de mettre LA claque de la soirée. Il est dans un registre à la frontière de la techno et de la deep (sans son côté casse couille) et nous rassure sur le fait qu’il n’est pas uniquement l’auteur du mix le plus relou qu’ai proposé le mensuel Tsugi cette année. Parfait pour la nuit, on calle notre rythme cardiaque sur 128 bpm et l’on arrête de respirer avant chaque réattaque de percus. On aimera un peu honteusement prendre ses torgnolles de grosse caisse dans la gueule et l’on rentrera à 5 heures les joues rouges et les oreilles saignantes.
Samedi
En fait, on est des marathoniens en carton et l’on n’est pas serein si un contrôle antidopage doit se présenter. A mi-course on a fait une pause. Le temps de chiller dans l’espace Marlboro (pour la liberté de vos poumons, aucun dérivé de la loi Evin n’existe, un fantasme pour les marketeurs du siège français de Philip Morris), devant l’excellent concours 20 minutes une 1664 à la main, ou encore sur la terrasse de l’hotel Lhotel en compagnie de XXXY (prononcez Triple X wouaille). L’avantage de ce festival étant que tous les lieux sont dans un cercle de 500 mètres de diamètre, chose très rare dans un milieu urbain.
On reprend la course au galop avec le Club Cheval qui n’en finit plus de décevoir. Autant quand ils sont isolés, on trouve d’excellentes choses, en particulier du côté de Canblaster et Myd mais putain ensemble c’est vraiment un désastre. A un moment donné, il faudrait peut être arrêter de trouver cool qu’ils jouent les ambianceurs de fête foraine à coup de tubes pour autos-tamponeuses, simplement parce que Sam Tiba a plus souvent entre les mains des oinj que le controlleur et que Panteros tourne des vidéos pour Vice. Leur succès sur cette date suisse est incontestable, mais on préfèrera aller voir les préparatifs du live de Joakim, bien plus instructif.
Car c’est à n’en pas douter et sans avis biaisé que l’on va avoir le live, ou plutôt la performance du weekend. Trois types sur scène, un batteur, un bassiste et évidemment Joakim Bouaziz aux claviers et aux chants. Le défi était grand pour le parisien : conquérir un public suisse en attente de décroiser les bras après la demi-heure de retard sur le programme. En attaquant par le morceau dont on parlait tout à l’heure (pour rappel Nothing Gold), Joakim prouve en 5 minutes qu’il va nous emmener dans des sphères encore inexplorées sur ces deux jours : la douceur grâce à sa voix et l’excellent bassiste, l’atmosphérisme psychédélique de l’acid à travers ses Juno et le combat par le rapport de force constant entre les coups de caisse claire et de grosse caisse à la batterie. Le psychédélisme est, comme il nous l’expliquera plus tard, l’une de ses plus grandes priorités. Faites l’expérience, aller le voir en live, fermer les yeux et essayer de comprendre ce qui vous arrive. Bon pas trop longtemps quand même, vous aurez soit l’air d’un type sous trips, soit simplement l’air d’un con. En fin de concert, on s’est même cru être devant l’un des membres de Kraftwerk, tant son avant dernier morceau était tatoué au krautrock. Ce live était vraiment l’un de ceux que l’on a trop peu l’occasion de vivre.
Encore tout émoustillé, on finit l’épreuve lausannoise par retrouver XXXY pour une dernière ligne droite à un niveau tout aussi haut. Bien évidemment dans un registre complètement différent, bien plus alcoolisé, mais aussi beaucoup plus house. Et pas une house chiante qui a tendance à être surcotée à l’heure d’aujourd’hui Mais plutôt dans le style je vais vous faire transpirer aller vous hydratez au bar. Sa maitrise est totale, bien que l’on sente une pointe d’inquiétude dans son regard la salle se vidant légèrement en milieu de set (c’est aussi le moment où deux des membres du Club Cheval rentrent dans le lieu, rapport de cause à effet ?). Mais ce n’était que pour repartir de plus belle et finir au sprint avec pour nous l’envie de repartir pour 42,185 autres kilomètres de techno.
L’épreuve fut donc belle et avoir un festival de musiques électroniques dans un milieu urbain sans avoir à marcher pendant des heures est une denrée rare. Le niveau de l’événement est aussi grandement du à ses organisateurs qui sont sous le statut associatif et qui ne dégage pas de bénéfices financiers de l’événement. Un staff très disponible et très cordial envers les festivaliers (discrètement, un grand merci à Anouk et Dimitri) permet à tout le monde de profiter de l’événement. On a donc face à nous des passionnés qui peuvent se faire plaisir en faisant jouer des artistes qu’ils aiment. Ce non-souci du profit permet d’éviter d’avoir un line up stéréotypé avec des artistes que l’on voit dix fois dans l’année. Et ça marche vu le nombre de personnes présentes tout au long du week-end. Comme quoi en terme de festivals electro/techno quantité (de spectateurs) et qualité (de programmation) peuvent faire la paire.