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Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]

Publié le 10 septembre 2012 par Paule @patty0green
*Toutes les images ont été prises sur la page Facebook de l'événement

C'est avec un thème tiré d'un poème d'Arthur Rimbaud que le Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul célébrait son trentième anniversaire. Serge Murphy a succédé à Stephan St-Laurent pour relever à son tour le défi d'un commissariat qui ne peut s'articuler sur des œuvres préexistantes. Le résultat final est imprévisible, car entièrement tributaire du processus créateur des artistes invités. Comme la coutume le veut, leur atelier était précieusement livré aux spectateurs durant tout le mois d'août, dans l'aréna de la place!

Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]
...j'écrivais des silences, des nuits
je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.  
Le vertige : une oscillation. La rencontre insoutenable du désir et de la peur. On l'immobilise aussi aisément qu'on maîtrise un animal sauvage dans une cage. Et l'expérience demeure vertigineuse. 
What if? 
Et si la cage cédait? 
Que deviendrions-nous, les spectateurs? 
Les livres
Fixer un vertige, c'est surtout en laisser la trace. Pour trois artistes invités, le livre s'est imposé comme une véritable empreinte d'un travail vertigineux. 
Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]Marc-Antoine K. Phaneuf a épluché des centaines de romans Harlequin à la recherche de liens entre les pages des différents livres. Les numéros de page se succèdent et les débuts et fins de page s'harmonisent pour former un tout nouveau roman. On réalise rapidement le véritable travail de moine que dissimule en partie l'aspect ludique du projet. Devant la masse de romans Harlequin que l'artiste a cloués au mur de son atelier temporaire, on est à la fois irrémédiablement attiré par les couvertures loufoques et étourdi par leur nombre :

-Les as-tu tous lus?-Je ne réponds plus. Un projet vraiment réussi dont le résultat aussi vertigineux que son processus pourra se retrouver prochainement dans notre bibliothèque personnel!

Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]Pour Louise Viger, le livre n'était pas d'abord prévu dans l'articulation du projet. L'artiste qui travaillait sur la notion d'effacement, a sculpté des effaces. Méconnaissables, celles-ci se sont transformés en insectes volatiles. Une installation révèle des sortes de papillons si fragiles que le simple passage du visiteur peut les faire tomber. Au mur : une camisole de force. Du moins, sa représentation. Une autre forme d'effacement. Contenir les mouvements physiques d'un fou, c'est du même coup augmenter ses turbulences intérieures. Les œuvres sont intenses, appellent le commentaire. L'artiste a décidé de recueillir, sur de grands papiers fixés au mur, les témoignages de ses visiteurs. Ceux-ci seront réunis dans un livre.

Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]Arnaud Vasseux a créé un multitude d’œuvre durant son séjour. Plâtre coulé dans des empreintes de pieds sur les rives de Baie-Saint-Paul, cylindre aux parois qui menacent sans relâche de s'effondrer,  mince mur de plâtre animé par la lumière ambiante : autant d'oeuvres fragiles qu'il ne pourra pas ramener chez lui, à Marseille. Sa démarche expérimentale et entièrement liée au lieu géographique dans lequel l'artiste se trouve, ne peut que créer de l'éphémère. Le livre s'est alors imposé comme la trace de toutes les expérimentations effondrées que l'artiste à mis en œuvre durant le mois. Les abstractionsJe suis toujours étonnée de voir combien les œuvres abstraites reposent sur un équilibre délicat. En ce sens, la place qu'on a fait à cette forme d'art lors de ce Symposium m'apparait nécessaire. L'art abstrait est, pour moi, avant tout une expérience qui repose sur le rythme des compositions. Je vous laisse donc expérimenter sans trop de commentaires les vertiges (dans l'ordre) de Jean-François Lauda et Nazafarin Lofti (Cliquer sur les images pour agrandir).
Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]
Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]

Les univers

Le vertige, lorsqu'il nous submerge, engendre un univers mental qui devient en quelque sorte notre demeure. Et si l'on inverse le processus, que le lieu devienne source du vertige, à quoi ressemblerait ce lieu?Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]Lorsque je suis entrée dans l'atelier de Carole Baillargeon, j'avais envie de manger du sucre, de courir partout et de sourire démesurément aux autres visiteurs. Les structures de fils, des réseaux de boutons et de perles, submergent le spectateur comme pour le séduire. Un attrait qui se transforme rapidement en une incapacité à se concentrer sur un aspect ou un autre de l’œuvre. Apprécier le trop-plein et les couleurs qui emplissent l'atelier de l'artiste, c'est accepter d'être désorienté, comme un enfant au beau milieu d'une confiserie!


Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]L'espace atelier de Jim Holyoak s'est quant en lui transformé en une sorte de caverne. Des dessins à l'encre noire pendent de partout à l'intérieur et à l'extérieur de la structure architecturale. L'immense talent du dessinateur se perd dans l'abondance des dessins qui deviennent ici les morceaux éparses, pour ne pas dire les lambeaux,  d'une demeure lugubre et fragile. Le cœur : une petite table de travail pour l'artiste qui, soit dit en passant, était déguisé en bibitte pour l'occasion. On y entre, comme on entre dans un racoin encore inconnu de notre imaginaire. 

Les rubans gommés

Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]Avec ses faux morceaux de "tape" faits d'acrylique, Tammi Campbell fait plus que déjouer notre perception, elle dévoile en même temps l'acte de fabrication du tableau. Qui n'a pas appris, dans ses premiers cours d'art, à disposer soigneusement un ruban à masquer sur un papier pour créer une sorte de fenêtre? C'est dans cette même fenêtre que l’œuvre pourra émerger. Les rubans à masquer seront alors retirés. Mais ici, on contemple simplement les fenêtres. Dans un va-et-viens constant de la perception et de la conscience, les rubans de Campbell sont à la fois les amorces d'une œuvre picturale et l'achèvement par excellence de la représentation, c'est-à-dire, comme l'écrivait Pline : le trompe-l'oeil réussi.


Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]Jonathan Plante utilise également le ruban gommé. Cette fois-ci, c'est le ruban transparent dans toute sa splendeur et sa brillance qui est utilisé pour engendrer un film d'animation mettant en scène une forme humaine. L’œil du spectateur ne peut observer ce corps en mouvement sans voir l'espace qui le traverse. La transparence du matériau, dont on peut entendre les sons (scraaaatch) sur la trame sonore, génère une oscillation entre la visibilité du volume et sa disparation dans l'espace de l'atelier. Dans ce jeu vertigineux où la lumière joue un rôle de premier plan, l’œuvre déjoue un regard qui cherche instinctivement à dissocier le corps de l'espace auquel il participe.
Les lieux affectifs
Le lien que nous entretenons avec notre environnement comporte toujours un fort aspect affectif. Parfois, la relation entre l'aspect rationnel qui nous permet de décrire ce lieu et l'intimité qui nous lie à celui-ci se confronte dans un duel infernal. Il en résulte une oscillation perpétuelle, un vertige. Tessa Mars cherche, par ses peintures naïves et colorées, à traduire ses propres mémoires de Port-au Prince. Poser sur les murs d'un atelier dans l'aréna de Baie-Saint-Paul, les tableaux agissent comme des témoignages ou encore, comme des possibles manières de s'approprier l'espace public de cette ville qui habite l'artiste.
Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]

Étienne Tremblay-Tardif s'est quant à lui penché sur un événement de l'actualité de Baie-Saint-Paul, soit la possible démolition de l'hôpital de la municipalité. Soucieux de voir disparaître, avec l'anéantissement du vieil hôpital, un grand pan de l'histoire de Baie-Saint-Paul, son œuvre rhizomatique regroupe plusieurs propositions pour un hôpital alternatif qui intégrerait, à même les structures architecturales, l'histoire de l'hôpital démoli. Moins réalistes qu'affectives, ces structures permettraient de rendre hommage, entre autre, à ce que l'artiste appelle les "désinstitutionnalisés". Ce sont ces gens qui, à l'ère de Duplessis, avait été confiés sans véritables motifs aux soins psychiatriques de l'hôpital en question.

Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]

Le mouton noirÀ chaque symposium son mouton noir. C'est rarement celui qui essaie de l'être qui finit par être couronné de ce titre. Yvon Gallant peint sur des tissus, tels que le lin et la ratine, des souvenirs ou encore des désirs non assouvis. "J'ai toujours rêvé d'inventer un fromage", dit-il. Inventer des publicités avec des noms de fromages fictifs, c'est bien ce qu'il a peint sur des débarbouillettes.  Son monde affectif est parfois drôle, autrefois fort troublant. Comme cette œuvre peinte sur un morceau de lin, dans laquelle on retrouve un homme vers lequel se dirigent des centaines d'aiguilles. "C'est moi, j'ai le diabète, ceci représente environ la quantité de fois que je dois me piquer en une année". Les aiguilles forment en même temps des ailes, une métaphore de la grande liberté qui l'habite pour l'ensemble de sa création.

Je fixais des vertiges : quelques réflexions [Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul 2012]
Pour terminer, je voudrais souligner l'ouverture d'esprit du commissaire. Celle-ci est lisible par la grande diversité des approches et médiums choisis pour travailler sur le thème. Le Symposium est avant tout une expérience. C'est un événement où l'on nous offre la possibilité de ne pas tourner les talons trop vite à une œuvre, à une pratique ou à une forme d'art. C'est le temps, ô combien précieux, de poser de questions. Ce contact avec les artistes, avec leur atelier, est tellement rare. Le symposium est surtout un dialogue qui me permet de continuer de développer cet immense respect que je porte aux processus créateurs, quel qu'en soit le résultat!

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