Par l'élève Moinet
Ah l’été, les festivals, les décibels, la bière qui coule, les fringues qui collent, les rappels, les appels, t’es où ? J’t’endends pas, les coups de soleil, les coups de coudes, les chiottes de chantier. Comment faisait-on avant ? Avant les décibels, avant la bière qui coule, avant les fringues qui collent, avant les rappels, avant les appels, t’es où ? J’t’endends pas, avant les coups de soleil, avant les coups de coudes, avant les chiottes de… Les chiottes de chantier. Dire que tout ce que j’aime dans la vie, c’est faire, comment dirais-je ? ma petite commission dans la nature, le bord d’une route. Fut-elle du tour de France. Fut-elle du tour de France et de montagne. Fut-elle du tour de France et de montagne et en musique. Fut-elle du tour de France et de montagne et en musique et en accordéon. La musique, pas la route. La Route du rock, quoi ! Pour la peine, voyons comment on faisait. Avant.
Avant d’être ringardisée par un complaisant couturier, la petite Yvette (Horner) a été jeune. Pas très longtemps. A 10 ans, c’est du piano dont elle appuie les touches noires et blanches de ses petits doigts déliés. Tu joueras du piano debout ma fille ! Et un piano à bretelles, un ! Sur les épaules de la petite Yvette. Encore heureux qu’il y en ait deux, de bretelles : 5 kilos l’accordéon chromatique. Ah, l’accordéon, le piano du pauvre, la boîte à frisson. Il manquait quelque chose entre l’harmonica et l’orgue de Barbarie. Un cliquetis saugrenu à vous déprimer un congrès de médecins légistes en voyage organisé à Verdun. Mais, il y a un mais. Juillet 52, il fait chaud sur la France. La société Calor te la colle sur un podium. Pas pour vanter les épilateurs électriques qui n’existent pas encore, mais pour animer les arrivées du Tour. Equation parfaite : Accordéon et petite reine sont faits l’un pour l’autre. Ay qué calor ! Yvette Horner devient l’accordéoniste officielle du Tour de France. C’est dans la caravane qu’elle va désormais sévir. Pas celle de ses parents, non, la vraie, la grande.La championne (du monde d’accordéon 1948) avant les champions ! Et c’est parti pour 11 tours. Un vrai festival. Yvette sait y faire. Vevette, comme elle est surnommée dans l’Aubisque et le Toumalet. Vevette, mais pas Vevette Underground. Voilà la vedette qui dépasse d’une Ford Vedette. La voilà en plein vent qui dépasse d’une Traction Avant. "Mes plus beaux moments de ma vie d’accordéoniste."
Ah les souvenirs… Moi ce dont je me rappelle, c’est toujours les mauvais. Faut dire que ça commence fort. Sans son grand sombrero, Vevette est écarlate. Le sponsor, les vins de France, n’en demande pas tant. Allez, demain on mettra de la crème. Problème, la voilà reconvertie en attrape-moucherons ambulant. Yvette rechange de couleur. Le rouge et le noir, comme dans Stendhal. Mésaventure prémonitoire. Dans le nord, "les gueules noires" la prennent en otage. Elle n’a pas joué son grand succès, "La marche des mineurs". Fatale erreur. C’est comme si on oubliait les Corons de Pierre Bachelet au stade Bollaert. Elle ne doit son salut qu’à l’intervention de la police*. Ah la vie au grand air ! Qu’il vente, qu’il pleuve, Vevette assure la romance avant de donner l’aubade au valeureux vainqueur après l’arrivée. Un CDD sans ARTT. Pour ménager ses bronches, les apéritifs Suze arriment un mannequin sur le toit de la traction. Nouvelle erreur. En haut d’un col, elle est prise à partie au fond de la Citroën par la foule qui crie à l’imposture. C’est sous les "Remboursez !" qu’elle manque d’être jetée au fond du ravin*. Un comble pour un spectacle gratuit. C’est à se demander si la marque ne teste pas son futur slogan "Méfiez-vous des contrefaçons".
Mais les spectateurs aboient et la caravane passe. La voilà ! Vevette, c’est elle ! Derrière le bus Pernod ? Non, la Simca Aspro ! Et le savon Le chat, la Vache qui rit, les glaces Miko, ça fait envie ! Les aspirateurs Paris Rhône ! On n’arrête pas le progrès. Ah, Y’a bon Banania ! Et pour Louison Bobet Pschitt Pschitt Pschitt hurrah ! Les casquettes sont jetées, les porte-clefs déballés, les fanions distribués, les gendarmes déployés, les barrières alignées, les pliants dépliés et toujours Yvette. Yvette ! Yvette ! Yvette ! Plaisirs périssables, souvenirs fugaces, impressions surannées. Vacuité rime avec assiduité. Inanité avec dextérité.
Je ne sais pas pourquoi, mais derrière mon ordinateur, j’ai l’impression d’être Yvette Horner derrière son accordéon, tout d’un coup. Sans personne et sans musique et sans souvenirs et sans succès. Bah, encore un mauvais moment à passer. C’est quand le prochain festival ?
* Merci à Cyclisme nostalgie éditions Hors collection.