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Avant le silence des forêts - Lilyane BEAUQUEL

Par Liliba

 Avant le silence des forêts Lilyane Beauquel Lectures de Liliba

« Nous bataillons pour un bout de paysage déserté, dans un bois loin des collines de vignes pillées, sans autre motif que d'épuiser une armée contre une autre, c'est le but de notre présence ici, sans limites au prix de nos vies. Nous traînons les cervelles sous nos semelles. »

C’est le quotidien de Otto, Simon, Heinrich et Nathan, quatre jeunes allemands tout juste sortis de l’adolescence, quatre amis qui se connaissent depuis l’enfance, venant du même village bavarois, et qui se retrouvent ensemble sur le front de Lorraine en 1915.

Quatre garçons qui ne connaissent pas encore grand-chose de la vie, qui ont tout juste eu le temps d’aimer, mais qui vont apprendre dans ce paysage de boue la souffrance et la désolation, qui vont découvrir le Mal, et l’enfer. Innocents encore, mais meurtriers parce qu’on leur en donne l’ordre, chacun d’eux, au fil des très courts chapitres de ce roman, va partager ses sentiments face à cette guerre, ses souvenirs, ses espoirs d’un avenir meilleur. La voix douce de Simon raconte, et le jeune homme consigne dans son carnet les paroles échappées, les confidences, les rêves, les désespoirs aussi.

« Drapés de froid, mordus de faim, bourrés de mauvaise soupe, oubliés de tous, paupières déjà scellées, à l'instant de l'ordre crié encore et encore, nous atteindrons le haut de la tranchée, avec moins de conscience de nous-mêmes. Héritiers des guerres des temps d'avant, tuer, se laisser tuer est devenu notre besogne. Les lendemains, les reflets de cristal, les contentements du destin ? Non : la fange, l'évidence de l'enfer. »

Il est étrange qu’un style si poétique, si étudié puisse dire la guerre et ses horreurs, décrire les bombes qui sifflent (celles-là ne sont pas dangereuses, ce sont celles que l’on n’entend pas qui vous tombent dessus), la boue, le froid, le silence de la mort. Une écriture belle, mais presque trop. Qui en rajoute dans l’indicible, qui étale ce carnage au grand jour tant et si bien que lire m’est devenu vite difficilement supportable.

 « La tristesse ne niche avec le désespoir, roulé sur lui-même, et nous l'amadouons en silence, couchés côte à côte, hébétés dans les nuits où l'étoile du berger est de plus en plus difficile à repérer. »

J’avais adoré Cris de Laurent Gaudé sur le même thème, mais j’avoue ici ne pas avoir accroché du tout. Autant Gaudé, par sa sobriété, la délicatesse avec laquelle il suggérait plutôt que peignait à gros traits m’avait émue, bouleversée même, autant j’ai ressenti ici une sorte de nausée à me repaître de l’horreur de ces garçons. L’écriture est travaillée – trop à mon goût. Et même si l’exercice de style est réussi, je pense qu’il réduit l’émotion, qu’il nous éloigne sans le vouloir du cœur même du roman. J’ai d'ailleurs eu un mal fou à le terminer roman, et j’avoue l’avoir fait en diagonale, passant d’un chapitre à l’autre en les survolant. A tenter pourtant, parce que j’ai lu d’autres avis diamétralement opposés au mien et que, peut-être, je suis juste passée à coté de ce texte…

« Sa tête, mon bras, mon torse, sa jambe, nos mains, son cou, le Français d'en face, et moi, ce soldat : mon miroir. J'étais seul au milieu de cent, moins qu'un, et tout à l'envers, porté par le groupe et son emballée, obéissant sans résister, perpétuant la seconde vers l'autre seconde, les pieds contre les poitrails, marchant sur les corps. Tout s'effondrait et se bouleversait, le vertical, l'horizontal, le vivant et le mort, le chagrin et la peur, le possible sang à verser, l'impossible passivité. La violence contre moi voulait la violence en moi, elle allait la chercher creusant dans je ne sais quelle part de moi-même, sûre de trouver ce que je ne voulais pas posséder. Tout se précipitait, tout savait comment me faire naître à la férocité. Les yeux, les bottes, les insignes sur les vestes, les cris et les fracas, les odeurs infectes, tout se jetait là, visible, et visqueux, le rouge et le brun mélangeant définitivement le monde, ses bruits et ses couleurs, tout ce qui pouvait être senti et rendu inouï, incompréhensible, détestable. La menace absolue, l'urgence et l'impur. Il m'était confisqué de penser. J'ai consenti, dans un espace que je n'ai pas voulu, le corps meurtri du Français contre l'arme et ses gestes que je sentis maladroits, dans une ivresse sans pareille, honteux aussitôt de ne pas lui laisser le dessus, et de rester contre ce qui allait me céder et m'épargner : j'ai tué. Ma baïonnette a percé sans résistance le ventre qu'elle cherchait. Pour me défendre de quoi ? Je n'ai pas d'emblème et ne rêve d'aucun palais, comme nous tous, victimes promises ou bourreaux affichés. J'ai bataillé sans rien calculer. Le sang m'aveuglait. »

Un roman lu par Mango  et Dédale, les avis des membres du jury Biblioblog,  et d'autres lecteurs sur Babelio.

Un roman de la sélection du Prix Biblioblog 2012.

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