Les journées se font courtes, après le rush des premiers
jours où les films s’enchaînaient. Alors que le festival entre tranquillement
dans sa dernière ligne droite (clôture dimanche), ma présence se fait plus
succincte. Et si en ce mercredi je ne suis venu que pour un unique film, ce fut
tout de même pour un morceau de choix : « Baraka » de Ron Fricke, deux jours après avoir
découvert son somptueux « Samsara ».
Bien sûr, idéalement, j’aurais préféré les découvrir dans l’ordre
chronologique, le Baraka de 1992 puis
seulement le Samsara de 2012, mais on
s’arrange comme on le peut avec son emploi du temps.
Je ne sais pas pour vous, mais moi, quand Baraka est sorti en salles en France à
l’origine, début 1994, j’étais plus intéressé par le cinéma d’action
hollywoodien et les longs-métrages populaires français que par les films tel
que celui-ci. Bon, à l’époque j’avais douze ans et de nombreuses années se sont
écoulées avant que j’entende parler du film de Ron Fricke. L’une des premières
choses qui m’a sauté aux yeux lorsque j’ai posé mon regard sur la sélection de
cette 18ème édition de l’Étrange Festival, ce sont les films de Ron Fricke justement. Samsara qui ne sortirait pas avant des
mois en salles en France, et Baraka,
que les occasions de voir sur grand écran sont plus que rares. Surtout lorsqu’il
s’agit d’une version restaurée tout juste « sortie des presses » d’un
laboratoire californien un mois à peine avant le festival. Certes j’aurais payé
cher pour voir Samsara et Baraka projetés en 70mm, le format sous
lequel ils ont été tournés, mais les salles capables de projeter un film en
70mm aujourd’hui ne sont pas légion.
Jan Kounen en a fait des jaloux dans la salle, lorsqu’au
moment de nous présenter Baraka, il
nous révéla que parmi les nombreuses fois où il avait vu le film de Fricke, il
avait eu la chance d’assister à une projection privée du film en 70mm au Max
Linder Panorama. L’un des plaisirs de découvrir le film à l’Étrange Festival
tenait aussi dans le fait que Kounen nous le présentait. Entendre le
réalisateur de Blueberry nous conter sa
passion pour le film de Ron Fricke fut bien un plaisir en soit, et avant même
le début du film, il était parvenu à nous communiquer son excitation (si cela
était nécessaire…).
Lorsque Kounen en eut fini de son introduction et vint
s’installer au premier rang, la lumière s’éteignit, la salle se mit à vibrer,
et les montagnes de l’Himalaya apparurent à l’écran dans toute leur majesté.
Pour l’occasion j’étais descendu plus près encore que pour Samsara. L’immersion devait être totale. Je voulais sentir le poids
des images sur moi, ou plutôt non, je voulais m’envoler vers l’écran avec toute
la majesté que m’offraient les plans de Ron Fricke. A côté de moi, ma voisine
semblait ne pouvoir s’empêcher de souffler sans discrétion au moment d’expirer
sa respiration. Au début cela eut le don de m’agacer, mais petit à petit, je me
laissai bercer par le film, et bientôt ce souffle à mon oreille se dissipa
parmi le son du vent, des instruments, des marées humaines qui peuplent Baraka. L’environnement de la salle
disparut-il, celui du film écrasa-t-il ce qui pouvait bien se passer face à
l’écran, je ne saurais le dire, mais le monde tel que vu à travers le regard de
Ron Fricke accapara toute l’attention.
La parenté est évidente entre Baraka et Samsara, les
deux films sont les échos et les reflets l’un de l’autre. Le petit frère
Samsara prolonge la vision du cinéaste, pousse ses constats et interrogations
toujours plus loin, mais il doit tout à Baraka (Terrence Malick et son "Tree of life" lui doivent sans doute une certaine influence également). Cette façon de regarder le
monde, de l’ausculter, de le jauger, de le magnifier sans jamais trahir ce
qu’il est vraiment. Avant cet Étrange Festival, je ne connaissais de Ron Fricke
que le nom. Son cinéma s’est emparé de moi, et sa vision du monde et des hommes
n’a pas fini de me hanter.