Par une nuit profonde,Etant pleine d'angoisse et enflammée d'amour,Oh! l'heureux sort!Je sortis sans être vue,Tandis que ma demeure était déjà en paix. J'étais dans les ténèbres et en sûretéQuand je sortis déguisée par l'escalier secret,Oh! l'heureux sort!J'étais dans les ténèbres et en cachette,Tandis que ma demeure était déjà en paix. Dans cette heureuse nuit,Je me tenais dans le secret, personne ne me voyait,Et je n'apercevais rienPour me guider que la lumièreQui brûlait dans mon cœur. Elle me guidaitPlus sûrement que la lumière du midiAu but où m'attendaitCelui que j'aimais,Là où nul autre ne se voyait. Ô nuit qui m'avez guidée!Ô nuit plus aimable que l'aurore!Ô nuit qui avez uniL'aimé avec sa bien-aiméeQui a été transformée en lui! Sur mon sein orné de fleurs,Que je gardais tout entier pour lui seul,Il resta endormi,Et moi je le caressaisEt avec un éventail de cèdre je le rafraîchissais. Quand le souffle provenant du fortSoulevait déjà sa chevelure,De sa douce mainPosée sur mon cou il me blessait,Et tous mes sens furent suspendus. Je restai là et m'oubliai,Le visage penché sur le Bien-Aimé.Tout cessa pour moi, et je m'abandonnai à lui,Je lui confiai tous mes soucisEt m'oubliai au milieu des lis.
Jean de la Croix, Oeuvres spirituelles (Seuil, 1999)
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