Ce roman est remarquable, même si le ton est froid et cinglant, il sert à mieux dresser le portrait de Marie, une vieille femme sournoise, aigrie par les années durant lesquelles elle a multiplié les exigences et les caprices. Mariée à André, instituteur à la retraite, elle n'a cessé de le houspiller, le rabaisser, le faire tourner en bourrique. Et lui, bonne pâte, s'est plié à ses tortures...
A présenter ainsi, c'est clair que le livre ne fait pas très envie. Ce serait cependant une erreur de ne pas s'y intéresser, car le talent narratif d'Hervé Bel consiste à nous présenter cette femme, indigne et détestable, sans jamais forcer le trait ou sombrer dans le ridicule. Au contraire, on peut être surpris par les pointes d'humour, souvent malgré elle, de Marie, qui pense petit et vit tout aussi petitement, en plus des aspects dérisoires de sa vie et sa façon de penser.
Le film de sa vie est déroulé sous nos yeux, on la découvre jeune fille, belle et insouciante, déjà pimbêche, choyée par un père qui cédait face à son bon vouloir, puis amoureuse, sottement romantique, jouant presque un jeu, elle s'étourdit de belles paroles, souhaite qu'on lui flatte son ego, semble accorder une grande faveur en épousant l'homme de son choix... Dès le départ, on la sent naïve et calculatrice, car lorsqu'elle aura cessé de vouloir paraître, elle se laissera submerger par son amertume.
Avare, égoïste, abusive, despotique et ingrate, Marie est une héroïne rare et incroyable. Au début de la lecture, on est en droit de penser que ça ressemble à la vie de nos parents, ou nos grand-parents, un couple au crépuscule de sa vie, quoi. Et puis cette façon d'entrer dans l'intimité de Marie, de pénétrer sa logique et sa mauvaise foi, vraiment à plus d'un titre, le résultat est bluffant, saisissant et accrocheur. Je ne pensais pas m'attacher autant à cette histoire, c'est comme une fascination dérangeante pour cette femme au caractère impossible, qui défend sa cause avec véhémence et tromperie. C'est redoutable, jusqu'au bout !
Les Choix Secrets, par Hervé Bel
JC Lattès, 2012
Elle a toujours vécu dans cette illusion que le monde était un parterre, et qu'elle était sur la scène, aimée de son public, et elle la vedette, tantôt indifférente, tantôt gentille, tantôt méchante, mais toujours pardonnée. Qu'il suffisait d'un geste de sa part pour recueillir des preuves d'amour.