Rubber avait dérouté un bon nombre de spectateurs lors de sa sortie. Pourtant, il n’était pas le premier film de Quentin Dupieux, après Nonfilm et Steak, mais il est peut-être celui qui a eu le plus de reconnaissance autant critique qu’institutionnel (il a participé à la Semaine de la Critique en 2010). Wrong se propose de s’inscrire dans cette continuité autant dans le parcours du film (ici, Sundance et Deauville) que dans sa structure même.
Wrong suit, dans l’absolu, une parfaite trajectoire cinématographique que le cinéaste essaie de rendre la plus cohérente possible au gré des projets. Les points communs entre toutes les livraisons de Quentin Dupieux sont nombreux, autant dans la mise en scène que dans l’écriture ou le traitement des personnages. Néanmoins, Wrong, dans sa logique de dernière production et donc de confirmation d’une identité propre, repousse encore plus les limites du système Dupieux. Alors que beaucoup de monde s’accorde à rappeler que le réalisateur n’écrit pas de scénarii d’une grande complexité en ne les dotant pas de belles profondeurs psychologiques et situationnelles, celui-ci s’avère être encore plus pervers car il ose une dualité toujours surprenante. Il faut dire que voir un Américain moyen à la recherche de son chien pendant une heure et demi ne se prête à la passion et ce malgré un postulat de base plus accessible qu’à l’accoutumé. Wrong s’inscrit, en effet, dans un contexte purement réaliste que l’on retrouve dans la vie de tous les jours mais celui-ci va être dynamité de l’intérieur. L’accalmie scénaristique va être de courte durée et le style de Quentin Dupieux va reprendre ses droits. Cependant, la peur ne doit pas s’installer chez le spectateur car le courant va passer entre ce dernier et le cinéaste qui sait prendre par la main et proposer un point d’accroche fort qui fera rentrer dans son univers particulier. Ici, c’est l’humour qui joue le rôle de ce portail. Il est souvent présent et, surtout, le réalisateur propose un sens de l’absurde rarement vu sur un écran de cinéma. Chaque situation, pourtant « réelle » donc, prend un sentier inattendu, aléatoire, incongru et rend le film toujours surprenant. Cette grande force témoigne non seulement d’une belle qualité d’écriture, sus aux détracteurs du scénario. Wrong, à ce titre, est exemplaire et donne un bon coup de pied aux habituelles productions françaises qui se regardent normalement le nombril en dissertant sur la vie, la mort et autres thématiques sérieuses mais n’ayant, finalement, rien à dire.
Ces situations foutraques, même si elles font rire, peuvent porter à confusion. Elles n’existent, en premier lieu, que pour elles-mêmes et le spectateur peut se demander si elles proposent des problématiques sérieuses, des enjeux à plusieurs niveaux, des discours venus d’ailleurs. Derrière un tel déchaînement, on aurait pu croire que Quentin Dupieux aurait fait de son œuvre une satire. Il est vrai que des scènes se déroulent dans des endroits précis et identifiables et que les situations appellent à l’interrogation. Le cinéaste critique-t-il le monde des affaires ? Se fout-il de la gueule des sectes ? A-t-il de l’empathie pour un personnage principal aveuglé ou le condamne-t-il ? Ces questionnements sont légitimes mais la vérité du métrage amène à une réponse claire et évidente : pas du tout ! On ne sent pas de positionnement critique car ces situations ne s’emboîtent pas réellement entre elles, ne se répondent pas, ne forment pas une unité globale. Il serait alors facile de dire que Wrong n’est qu’une succession de scénettes sans queue ni tête et que le film part finalement dans toutes les directions. En fait, c’est beaucoup plus simple que cela ! Il s’agit juste d’une vision du monde complètement délurée, comme un refus d’une réalité trop ennuyante, trop austère, trop linéaire, et le cinéaste veut simplement nous la faire partager. Le métrage n’est pas le véhicule d’un quelconque intellectualisme ou d’un cartésianisme à tout prix. Wrong n’entre pas dans cette catégorie. Quentin Dupieux réfute clairement cette politique de représentation et veut que le monde soit juste un petit peu plus fou qu’à l’accoutumé. C’est donc autour du côté viscéral du film que les spectateurs doivent se retrouver car le film vient des tripes mêmes, du plus profond du cœur de son auteur. La démarche est sincère et mérite d’être saluée.
Pour bien faire, Quentin Dupieux va utiliser une deuxième arme secrète, après l’écriture, qu’il maîtrise tout aussi parfaitement : la mise en scène. On savait que Rubber avait été tourné avec un appareil photo et le rendu était très intéressant. Il parvenait à dompter la richesse de l’espace américain. Ici, c’est une caméra numérique nouvelle génération construite par ses soins qui est utilisée et c’est peu dire qu’il arrive à en jouer de manière agréable. Les jeux sur les flous sont admirables et rendent parfaitement justice à la vision du monde de son auteur. Les cadres sont, quant à eux, précis et le montage se révèle évident. Ainsi, la réalité est mieux maîtrisée et son double, par le flou donc, peut apparaître facilement, presque élégamment, aux yeux du spectateur. La concordance entre le fond et la forme est alors au sommet et le cinéma français peut maintenant se targuer d’avoir dans ses rangs un esthète de plus – déjà qu’ils ne sont pas nombreux ! -. Cependant, cette force peut se révéler être également une faiblesse par les détracteurs du cinéaste. En effet, cette démarche formelle approfondie peut s’afficher comme de la condescendance. De plus, l’intériorité de la démarche scénaristique entre en conflit avec cette réalisation trop précise pour ne pas être calculée. Et si Quentin Dupieux se regardait filmer ? Et s’il entrait dans une démarche intellectualiste qu’il refuse pourtant ? Et si Wrong était un foutage de gueule ? Les arguments contestataires ne sont si nombreux que cela et les questionnements, peut-être légitimes, sont aisément balayés. Le métrage propose et renvoie beaucoup plus de données positives que négatives et il faudrait faire la fine bouche devant cet objet pour ne pas être convaincu, attitude peut-être pas la bienvenue dans un paysage cinématographique français globalement moribond.
Wrong est une œuvre à part qui va continuer de faire hurler dans les chaumières du bon goût cinématographique. Ses fans, quant à eux, se régaleront d’une maîtrise de plus en plus aboutie. Néanmoins, en dehors des luttes intestines des cinéphiles, il serait dommage de se passer d’un réalisateur qui a une patte, une vraie et qui essaie d’envoyer des coups de pied dans la fourmilière.