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[note de lecture] "Poèmes (1962.1968.1972)" de Hans Faverey, par Hugo Pernet

Par Florence Trocmé

Faverey couvDans les premiers poèmes du livre, qui datent de 1962, on remarque une forme de surréalisme froid, comme par défaut, dans lequel les images se font distantes et louches. Puis le ton devient carrément hostile : « Si une licorne surgit / je devrai la tuer ». On peut rapprocher ces vers de cette déclaration de Charles Reznikoff : « Ainsi, nous possédons un très bel extrait d’Archiloque qui décrit une jeune fille marchant, les cheveux flottant sur les épaules. Cela m’aurait paru idiot qu’on la comparât à une biche ou à toute autre chose1 ». Mais la langue de Faverey est plus ambiguë que celle des objectivistes. Il n’y a plus « aucune entente » entre les mots et ce qu’ils désignent : « les mots // ne touchent vraiment rien. ». L’objectivité du langage y apparaît comme une autre illusion. S’ils sont parfois assez hermétiques, les poèmes de Faverey ne sont pas pour autant fermés sur eux-mêmes : ils sont organisés en séries et ont cette rapidité qui leur donne le pouvoir de ne pas se solidifier. Leur forme est à la fois provisoire et définitive : alors que le langage hésite et tâtonne, on sent toute la confiance qu’il a dans sa position : « Peu de ratures. / Peu d’ajouts. ». Le poème a sa propre « personnalité », mais surtout, il ne parle de rien. Faverey s’explique assez clairement là-dessus lorsqu’il dit « Quand j’écris par exemple un homme marche sur une montagne et que je l’écris à la machine à écrire, je ne le vois pas. Je fais un poème, bien sûr, pas une peinture. ». 
L’artiste conceptuel John Baldessari tentait, dans une vidéo aujourd’hui célèbre, d’apprendre l’alphabet à une plante verte (Baldessari Teaching a plant the alphabet, 1972). Dans le poème Man & dolphin – homme & dauphin, un homme tente d’apprendre le mot « balle » à un dauphin. Le registre de l’homme est celui du dressage : « Tu dois dire « balle ». / Dauphin, dis juste balle. / B-a-l-l-e : balle. Hé, // dauphin, dis juste une fois « balle ». ». L’absurdité de la situation met en évidence l’inadéquation entre sens et langage, auteur et lecteur : le dauphin parle son propre langage, il est vain d’essayer de lui faire parler notre langue (ou plutôt l’une de nos langues, car le poème est écrit en anglais et en néerlandais, ce qui renforce l’incongruité de la scène). Nous pouvons tout au mieux jouer à la balle avec lui. Man & dolphin a donc quelque chose d’un hommage moqueur aux démonstrations logiques de Wittgenstein ou à celles de la linguistique (Le mot « chien » ne mord pas etc.). Il se présente comme une fable sans morale, une variation sérielle autour d’une proposition incohérente. Il nous rappelle aussi qu’en tant que lecteur, nous ne devons pas chercher à comprendre le poème, à le faire parler, mais seulement à échanger quelque chose avec lui. 
La poésie de Faverey procède d’une double méfiance envers les images et les théories linguistiques (dont il utilise le potentiel mais raille l’absurdité scientifique), mais elle semble naître d’une confiance accordée au langage. Elle se forme autant par associations que par dissociations d’idées, oscille avec beaucoup de grâce entre formalisme pur et dur et « formes personnelles ». Quand il écrit : « Je transfère mon nord // vers le sud-est.», on voit bien comme il fait de l’acte d’écrire (de haut en bas et de gauche à droite) un déplacement géographique. Cette image de la page comme carte est très présente dans le livre. L’écriture a lieu sur ce plan : « Je n’admets pas d’autre espace / que celui-ci ». Le poème est cet espace entre-deux, un lieu de feed-back entre travail représentatif et travail métalinguistique « L’un l’autre // se corrigeant continuellement ». Cette volonté de se placer dans le langage fait toute la force (et la beauté) de cette poésie inimitable.  
[Hugo Pernet] 

1Cité par Emmanuel Hocquard dans sa préface à Tout le monde se ressemble, Une anthologie de poésie contemporaine, P.O.L, 1995. 
 
Hans Faverey, Poèmes (1962.1968.1972).  
Traduit du néerlandais par Erik Lindner et Éric Suchère (Théâtre Typographique, 2012).  


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