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La gauche, la droite... et vice-versa

Par Pseudo

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(© agence Euré-k !)

Je ne sais pas si vous avez des copains de gauche... Moi j'en ai. Enfin, c'est ce que j'ai cru longtemps. Je vous parle de ça, les temps s'y prêtent...

Personnellement je n'ai jamais trop su où mettre les pieds : droite, gauche, un brin de dyslexie, tout s'embrouille très vite. J'ai bien dû être un peu gaucho, dans ma prime jeunesse. Sans doute un peu beaucoup, parfois. Arrivé un poil trop tard pour Mai 68. Un poil seulement trop tard pour faire le guerillero avec les grands, mais le cœur y était...

En même temps, il y avait ces tiraillements vers l'autre bord, le milieu d'origine, qu'y faire ?... Le diagnostic de l'expert est toujours le même : le rejeton intériorise les façons de la caste. Appropriation culturelle, empesage à la mayonnaise tribale, non-dits inclus. L'onction du bain familial, du premier cercle social, etc. Enfin tout ce qu'on a l'habitude de recenser comme déterminismes — «déterminismes, mon cul !» crie le libre penseur. Il a tort... Le bain, l'empreinte... c'est animal tout ça, mais y échapper ? Voilà l'héritier déjà équipé d'un beau patron mental : «Je pense comme je vis.» Bon, sans doute pas mécanique à ce point ! Aussi automatique, systématique : on peut aussi penser contre son milieu. Ou mieux : indifférent à son milieu. Ou encore, animal raisonnant, sorti du décor et s'observant, critique, tragique...

Il n'empêche, ce bain pour moi n'ayant pas été spécialement "progressiste", j'étais je crois de droite autant que de gauche ! Ou plutôt anti-gauche autant qu'anti-droite — pas si facile de tenir la route avec ça. Les copains de l'époque, presque tous, avaient des convictions gauchistes, "prolétariennes". Au moins ils en exprimaient les cris, les humeurs, diatribes et homélies. La logorrhée surtout. Marx nous bénissait tous, mais les chapelles se haïssaient. Chacune brandissait son prophète, son martyr ; les messes étaient sacrées, comme il se doit.

Le clan des copains me convenait pour la chaleur des lieux, mais pour le culte j'avais l'adhésion molle. Au fond le "prolétarisme" me faisait chier, tout ce bazar : la religion des "masses", leurs "avant-gardes" éclairées — petit clergé hystérique —, les excommunications, cette mobilisation, ce sérieux dévot et bavard, tout ça... Ça ne me coïncidait pas. Qu'est-ce que j'y pouvais ? J'avais beau ânonner mon bréviaire rouge — sans la moindre duplicité, Petit Père des Peuples, je jure que c'est vrai ! —, j'avais la tête ailleurs. Ou plutôt : le goût. La tête faisait ce qu'elle se disait à elle-même de faire ; mais le goût de le faire...

Ce goût : précipité de déterminismes, donc ? Ou complexion intime par nature ? Produit des conditions matérielles de l'existence ? Ou d'une transcendance ? Immanence ? Ce qu'on nomme la personnalité — ces linéaments intérieurs, ces propensions, cette inclinaison/inclination... L'être subtil, l'âme, s'il faut oser cette impudeur... Tout ça viendrait de la chambre d'accouchement ? Des parents, de l'habit, de la maison, de la tribu ? On peut toujours le croire... Mais je sens bien que non.

Tout ça pour en venir là : j'étais mêlé par construction, et sincère en même temps. À dia, le groupe "prolétarien", pour rassurer mon grégarisme de jeune pubère. Et me donner l'occasion de jouir, sans risque, de rébellions sans objet — simagrées cathartiques, jubilatoires, colères nourries d'elles-mêmes, déconnectées de toute cause. À hue, ma pente intérieure, pour m'évader. Me retrouver, échapper à l'empressement collectif, sa doxa, sa morale, sa discipline, son conformisme de troupe, sa brutalité. Et goûter ce bien le plus précieux : une liberté purement individuelle — lieu d'égoïsme pur, sans culpabilité ni honte. Où pouvoir balancer les moulins à prières de la dogmatique matérialiste — l'omnipotente dialectique de la lutte des classes, la prévalence donnée aux pratiques sociales et collectives sur toute autre quête de sens, sur les cheminements personnels intérieurs, spirituels. Voire sur l'esthétique du monde...

Bref, j'avance vers mon sujet. Des décennies sont passées, je me sens toujours aussi mêlé. Seulement à l'âge adulte, finies les belles échappatoires ! Faut se prononcer, agir, ou c'est le chaos, les sociétés ne s'organisant pas spontanément — on en laisserait la tâche aux enfants, aux fous, aux voyous ? Alors comme on dit il faut se déterminer. On y parvient tant bien que mal — avec la tête plus souvent qu'avec le cœur. C'est comme ça qu'à la longue, sans y prêter trop d'attention, je me suis tranquillement retrouvé aux abords de ce qu'on nomme social-démocratie. Cette chose un peu infâme, pas vrai ? et sans grand caractère qui tient l'Europe, énerve l'Amérique, indiffère l'Asie et fait rêver l'Afrique. Avec ce fil à suivre : à l'intérieur, cimenter la cohésion — la paix publique, ce premier bien social —, en prévenir toute fracture ; à l'extérieur, se faire respecter dans le monde, sans arrogance mais sans complexe... Avec comme clé, toujours, la liberté plus la solidarité.

Me voilà au cœur du propos. Ces copains de l'âge mûr, que j'évoquais au début, avaient eux aussi suivi leur route. La "réussite" était opportunément venue pour certains. Aussi nos agapes d'aujourd'hui pouvaient accueillir ce cadre dirigeant d'une prospère entreprise, ce haut fonctionnaire, ou cet élu solidement implanté ; quelques-uns paraissant être restés d'autant plus en accord avec des convictions "de gauche" revendiquées qu'ils ne cessaient de fustiger les tièdes et les ennemis du camp d'en face — évidemment bêtes et méprisables.

J'ai dit paraissant ? On y arrive. Un de ces Fouquier-Tinville s'emportait une fois de plus contre je ne sais quelle "saloperie de droite". C'était le directeur commercial somptueusement rétribué, et actionnaire qui plus est, d'une entreprise friquée du secteur minier — où le salarié lambda n'a à espérer, lui, qu'un chiche SMIC pour son labeur d'ilote. Le trop bon vin aidant, ses leçons, l'exhibition de sa vertu jaurésienne, ont fini par m'agacer. Alors je lui ai demandé pourquoi, en trente ans de carrière, il n'avait pas tenté de mettre ses convictions si péremptoires en application dans sa propre entreprise, sachant l'influence qu'il y exerçait. En militant, par exemple, pour plafonner l'échelle des rémunérations, si avantageuse au staff dirigeant, dont lui-même, ou pour rééquilibrer la répartition du profit entre actionnaires et salariés, à l'avantage de ceux-ci, les plus humbles notamment, si honteusement sous-payés. Tout ça, me semblait-il, aurait donné du crédit à sa posture...

Qu'est-ce que je n'avais pas dit ! Je n'étais donc qu'un populiste ? Mélenchoniste si ça se trouvait ! — je n'échappai au qualificatif de lepeniste que par amitié, je suppose. L'offensé continuait : déjà bien beau que cette espèce de travailleurs de fond de cale, dont le sort me turlupinait tant, soudain — tiens donc, c'était bien louche — gagne ce que l'entreprise daignait lui allouer ! Parce qu'auraient-ils fait sans elle ? Ces bons à rien ! Mais ce n'étaient "que des cons, des abrutis incapables

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de se prendre en charge, c'est l'entreprise qui les faisait vivre !..." L'équation valait postulat : revenu indigent = individu indigent. Tout le reste n'étant que démagogie ! Et les autres convives, à la sensibilité "de gauche" usuellement affirmée, paraissaient opiner du bonnet dans un silence gêné, décontenancés qu'un d'entre nous se soit laissé aller à cette incongruité : une bouffée incontrôlée de populisme.

Je me le tins pour dit. Mais je vois depuis d'un tout autre œil les jabots gonflés des "amis du peuple". Après tout, y a-t-il un âge pour se déniaiser ? Alors la gauche, la droite...


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