Batman.(réalisé par Tim Burton)
Double-je.
Avant même que James Cameron n'en fasse la démonstration, Tim Burton, en 1989 (alors en grande forme) a prouvé qu'il était possible de réaliser un gros blockbuster qui se veut tout autant un film d'auteur. Et ce n'est qu'une des qualités de ce long-métrage, qui a certes vieilli, mais reste diablement accrocheur.
Le célèbre et impitoyable justicier, Batman, est de retour. Plus beau, plus fort et plus dépoussiéré (?) que jamais, il s'apprête à nettoyer Gotham City et à affronter le terrible Joker...
Première adaptation sérieuse de l'homme chauve-souris au cinéma, celle de 1966 étant à classer dans les inclassables, elle parvient à capter l'essence des comics de Bob Kane tout en se créant un univers qui lui est propre.
Tout d'abord blockbuster, Batman enchaîne les scènes d'action, les explosions et les morceaux de bravoure essentiels au cahier des charges d'un tel film. Tout ce pan de l'œuvre a très mal vieilli mais lui confère un charme désuet, presque enfantin (les décors ressemblent à des jouets en carton-pâte). Le passage du temps lui a été profitable car il laisse planer un sentiment de nostalgie face à la débauche d'effets spéciaux présents dans les films actuels.
Bref, on ne s'ennuie jamais. Mais derrière ces faux airs de grosse machine hollywoodienne, Batman cache en fait un film d'auteur dans le sens où les obsessions de son réalisateur imprègnent la pellicule. Les décors rappellent le gothique flamboyant des vieux films d'horreur de la Hammer ou d'Universal mais aussi l'expressionnisme allemand. On sait que ce sont les principales sources d'inspiration du réalisateur. Gotham City est une ville sombre, gangrénée par le crime qui évolue en monde clos. Il n'est pas étonnant que Burton se soit intéressé à cette adaptation. Les univers de Batman et le sien étaient faits pour se rencontrer et pour fusionner. Cette alliance donne naissance à un univers sombre mais chatoyant et très vivant.
Il a également bien assimilé le «cas» Batman. L'identité est le thème central du film et il n'est pas non plus étonnant qu'un type qui doit mettre un masque pour exister puisse intéresser le réalisateur tourmenté. Qui est ce type? Taciturne et inadapté social, il n'est rattaché au monde que par son majordome et confident, Alfred. Pur produit de la société (qui lui a arraché ses parents), il s'est barricadé derrière son masque pour ne plus souffrir.
A contrario, le Joker, magnifique personnage (génial Jack Nicholson) souffre tout autant mais cache son moi profond par un masque opposé. Sa douleur n'est pas contenue, elle doit s'exprimer à travers son masque de joie, son rictus permanent. Sa (re)naissance lui a permis de devenir clairvoyant, de relativiser les choses de la vie et l'importance qu'on accorde au futile. Pas étonnant là non plus que Burton s'intéresse à un tel personnage. Il s'attache à détruire tout le superflu de la société (l'art, l'argent, la mode, les canons de la beauté). Il en pervertit tous les symboles.
On ne connaîtra jamais l'origine de sa souffrance mais sa douleur est touchante (même plus que celle de Batman car plus expressive). « Mon rire n’est qu’extérieur (...) si vous pouviez me voir au fond de moi, je ne suis que pleurs et vous partageriez mes sanglots. » lance-t-il.
Leur affrontement se mue en quête identitaire quand on comprend qu'au final, ils ne font qu'un et sont les deux faces d'une même pièce. Ils sont leur double dans le sens où ils incarnent deux façons d'évoluer dans une société pour laquelle ils n'éprouvent aucune sympathie, dans laquelle ils se sentent mal et peinent à exister. Du Burton tout craché, non?
Bref, il y aurait plus à dire mais l'essentiel est là. Tim Burton a su saisir la complexité des comics et l'a transcendée avec ses propres marottes. Le film a pris un gros coup de vieux mais reste une date importante du cinéma contemporain.
Note: