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Alors c'était la troisième fois... (by notre spéciale guest Élisa)

Publié le 21 septembre 2012 par Lifeproof @CcilLifeproof

La troisième fois que je me confrontais à l'expérience de cette boulimie sensorielle qu'est la dOCUMENTA. Au tout du moins, à cette expérience que l'on souhaite boulimique, à peine frôlé le sol casselien. Entre visiteurs que nous sommes, les signes distinctifs sont évidents : gros guide vert sous le bras, cartes dépliées, airs hagards ou à l’affût...

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Vue de la dOCUMENTA 13 - Kassel / Photo: Élisa Ganvet

À défaut d'insatiabilité, j'ai observé une foule de chiens (s'entend la gente canine, loin de moi l'idée de dénoncer qui que ce soit), et de verdure (s'entend la flore réinterprétée accompagnant). J'en ressors avec la principale sensation d'une réappropriation des matières premières et de leurs environnements, mais pas seulement.

En fait, avec ces quelques jours de recul, je ne crois pas avoir été rassasiée. J'ignore encore si la cause est à mes quelques années d'expériences, où l'esprit critique s'aiguise, ou bien si j'ai été trop marquée par la première dOCUMENTA visitée en 2002. La numéro (11) commissionnée par le dorénavant célèbre Okwui Enwezor (Triennale, intense proximité, Paris, Palais de Tokyo et autres sites, 2012).

Si le temps est à la réflexion, je souhaiterais avec vous, en ces quelques lignes, l'amortir.

La bourgade de Cassel s'accouple au rythme animé de la dOCUMENTA. L'espace est compartimenté dans le but de satisfaire la grande exposition. Des lieux habituels sont agencés à cette occasion (Fridericanum, Documenta-Halle, Neue Galerie, Orangerie...) d'autres lieux plus ou moins inédits sont investis [Weinberg Terrasse, Huguenotehouse, Obere Karlsstr. 4 (Ex-Bakery)...], cela sûrement pour garantir un effet original.

L'approche du Parc Karlsaue est toujours sujette à une forme de ravissement, le cadre y étant déjà très agréable. La thématique justement choisie « art et nature » fut très bien reprise. Les visiteurs munis de leurs outils sont prêts à débuter la chasse aux trésors. Car, il faut bien le reconnaître, le parcours au parc, prend facilement cette tournure. À tel numéro correspond tel artiste, et à la découverte du trésor: l'œuvre d'art, l'illusion, ou son contraire, s'opère.

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Pierre Huygue à la dOCUMENTA de Kassel, 2012 / © l'artiste

Pour en revenir au chien, hormis le parc qui leur est dédié (« Dog Run » par Brian Jungen) où ce sont les maîtres qui deviennent de véritables œuvres d'art dans leurs comportements avec leurs animaux, on pourra également se référer à l'installation de Pierre Huyghe. L'idée est ici à la "cultivation" de plantes et fleurs psychotiques parsemées sur des tas d'engrais naturel. Les abeilles butinant cette flore particulière ont leur nid sur la tête d'une statue de nue allongée. C'est une véritable jungle où l'on circule béatement surpris. Un aspect intéressant de cette pièce est l'observation des autres flâneurs. En matière d'anecdotes, j'en citerais deux. Celle de cette jeune femme totalement choquée à la vue de plants de marijuana, ce qu'elle répéta plusieurs fois à sa mère, et à cette dernière de la rassurer d'un « non mais arrête, ce n'est pas si grave ! ». Ou bien de cet homme, qui prenait impunément en photo ce chien blanc chétif à la patte rose fluo qui cherchait désespérément à s'alimenter. Sur ce point, l'addition de l'animal par l'artiste me laisse perplexe. On sait la polémique crée en 2008 par l'artiste Guillermo Habacuc Vargas qui laissa mourir un chien attaché dans une galerie. Ici l'excuse peut être à la subsistance d'un chien en pleine forêt... Il ne fait aucun doute que l'effet est purement et génialement esthétique, mais est-ce suffisant ? Nous sommes vraisemblablement en droit, en tant que spectateurs, de nous questionner sur l'interaction entre art et éthique. Le message est ici simplement esthétique et cela peut déranger puisqu'il joue directement sur un être fait de chair et d'os.

Les contradictions et chevauchements de l'art contemporain peuvent facilement se retrouver dans cette grande exposition. Des projets à esthétique pure se confrontent à des projets de sensibilisation thématiques (trop brièvement pour exemples : Robin Kahn & La Cooperativa Unidad Nacional Mujeres Saharauis sur la situation du Sahara occidental ; « Dogumenta » par D Jun-Yu Low sur l'adoption de chiens (décidément !) ; les peintures réalisées par la jeune juive-allemande Charlotte Salomon ; la comparaison universaliste de corps réparés par Kader Attia ; un intéressant parallèle entre la perte identitaire via les livres avec « Ex Libris » d'Emily Jacir et « What Dust Will Rise ? » de Michael Rakowitz...). Néanmoins dans une plus grande mesure, on verra que la dOCUMENTA est raisonnable et diplomatique dans sa documentation sur l'art contemporain.

Le guide fut un bon référentiel mais la flânerie aussi ! Histoire que la magie de l'art s'opère encore...Par contre, je l'avoue, j'ai soigneusement évité les deux heures et demie de file d'attente utiles pour visiter l'une des sections (Hauptbahnhof). Mais vous me comprendrez, n'est-ce pas cher lecteur ? L'accès à l'art ne doit pas être difficile (matériellement parlant). Au cas échéant, cela détruit tout son charme ! La patience peut être de rigueur, mais il ne faut pas exagérer non plus... Le flux des visiteurs doit être prévu en amont, ou alors être réversible...

Michael Rakowitz

Michael Rokowitz, « What Dust Will Rise ? », 2012 / © l'artiste

Pour finir cette courte réflexion, je m'arrêterai sur une dernière œuvre qui m'a réellement touché. Il s'agit de la prestation visuelle « Fatigues » de Tacita Dean, dans l'Ex-Finance Building. La proposition est des plus simples et efficaces. Sur deux niveaux, nous découvrons, en nombre réduit, des dessins à la craie blanche sur des murs d'ardoise. Le premier panorama dévoile des scènes de mer: l'eau frappe les rochers. On peut en longeant la salle, en ressentant la distance qui nous est nécessaire, entendre son grondement et claquements. En montant l'escalier qui coupe et surplombe la salle, on se sépare progressivement de l'impression marine, pour atteindre celle des cimes. Le deuxième panorama nous fait découvrir le ciel nuageux mêlé des montagnes. Ici aussi, nous sommes facilement transportés par le bruit du vent et par la hauteur. Le vertige nous est donné par la délicatesse et finesse du dessin, ponctué de notes évanescentes. « Fatigues » est le contraire de son titre, il est paisible et revigore toute notre énergie.

En somme c'est cela, si l'art est une question de perspectives, sa réception doit participer à notre exaltation de la vie. Je ne sais pas si j'ai été rassasiée par la dOCUMENTA mais sûrement rassurée dans le besoin de continuer à découvrir les possibilités du champ artistique.

Gardons un œil frais et l'autre critique


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Élisa Ganivet travaille dans l´art et autres subtilités depuis 2003 !
www.elisaganivet.com / http://artexte.blogspot.com

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