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Semper eadem

Publié le 22 septembre 2012 par Euphonies @euphoniesleblog

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King Creosote - Ankle Shackles

La répétition est à la musique ce que la pluie est à la Bretagne. Un incontournable. S’il existe en musique des formes rares (en particulier dans le jazz) ne reposant pas sur ce schéma, qui se réinventent à chaque nouvelle mesure, (il peut aussi parfois faire beau dans le Finistère), la majeure partie des compositions fonctionne sur le refrain. Sur un gimmick. Sur la variation sur le même thème. M’enfin pourquoi me direz-vous ? Pourquoi les chansons pop, le punk-rock crasseux, la transe de l’électro, et le reggae n’en parlons pas, jouent tous avec le processus itératif (oui désolé je n’avais plus de synonyme pour dire « retour ») ? N’y a t-il rien de plus pénible dans nos vies que cette répétition, le sempiternel train-train de notre quotidien ? Pourquoi un art aussi populaire et fédérateur que la musique repose alors sur cette même logique sans que personne ne trouve à redire ?

Hum. Question délicate. Je ne suis pas musicologue mais j’ai bien quelques idées. Replongez dans votre enfance. Combien de fois avez-vous réclamé la même histoire avant de dormir ? Combien de fois aujourd’hui un parent doit subir la rediffusion d’un dessin animé ? A titre personnel, j’ai vu 1454 fois Le monde de Nemo. Alors que je n’ai malheureusement vu qu’une seule fois Citizen Kane. Quoi qu’il en pense, l’être humain est structuré par la rassurante répétition. Une fois adulte, il aime regarder une énième rediffusion de La grande vadrouille. Comme le public des tragédies antiques : on connaît déjà le début, le milieu et la fin et justement, c’est savoureux.

En musique, on parle de réécoute. Impossible sans ça de s’approprier une chanson ou un album. Dans les années 80, MTV l’avait bien compris en imposant le principe de rotation : titre martelé toutes les heures jusqu’à ce qu’il finisse par vous rentrer de gré ou de force dans la tronche. Alors, on appelle ça un tube. Ce que j’évoque moi, c’est à échelle d’une chanson, d’un morceau. Un artiste audacieux est celui qui comprend l’enjeu crucial du retour. Selon le genre musical, l’ambition de l’œuvre. Celui qui va jouer avec vos nerfs en retardant à certains moments la réapparition du même. Là c’est le refrain ? Et ben non. Pont, variation, inertie. Les meilleurs sont parfois ceux qui créent très vite un horizon d’attente, un jeu sadique avec l’auditeur. Toute la logique du strip-tease : si je mets trop vite à poil mon refrain, ce que j’ai à offrir, le désir tombe à plat. Il faut donc négocier tout le long, souffler le chaud et le froid. Pour mieux atteindre ce climax jubilatoire où au bout d’une attente suffisante, la récompense arrive enfin. Je pense ici à Hotel California, Stairway to heaven, Le convoi, The Koln concert.

Cette ambition peut prendre du temps. Les derniers morceaux cités dépassent largement les six minutes.

 « J'ai toujours aimé les longues chansons. Parce que leur équilibre est instable. Parce qu'arriver à tenir l'auditeur pendant 8, 10, 15, 20 mns (voire plus), le tout sur un fil, relève souvent du génie. Et parce qu'une telle chanson a le temps d'avoir une vie propre et de raconter une histoire. » C’est ce que dit Twist pour le blog I Left Without my hat  en parlant du dernier morceau de bravoure de King Creosote, qui avait déjà fait forte impression sur ce blog. Et comme souvent, je suis bien d’accord avec lui. Ankle Shackles est un morceau magistral, parfaite illustration d’une diplomate frustration entretenue pendant onze minutes sur le retour du même. Décidément, septembre nous gâte.

King Creosote - Ankle Shackles by Domino Record Co

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