Louis-Jean Cormier, Le Treizième Etage / Cover album
Y’ont mis un nouveau clip en ligne. Dis-moi… Dis-moi où c’est qu’on regarde ?
Le titre L’Ascenseur, le premier extrait de l’excellent premier album solo du frontman des monstrueusement beaux Karkwa, est écrit en Québecois de type soutenu. Oreilles peu familières aux inflexions nord-américaines des grammaires françaises, ne vous formalisez pas : ce que nous autres continentaux pourrions prendre pour des libertés un peu âpres à nos tympans trop chastes s’avère rapidement être d’une beauté superbe (quand bien même on n’en finit pas d’être surpris…).
Depuis le 18 septembre dernier, le premier album de Louis-Jean Cormier est disponible. Disponible au Québec chez la toute nouvelle “étiquette” (=label) Simone Records, et disponible pour nous autre en Europe sur BandCamp uniquement – en intégralité pour le moment (en attendant une distribution en magasins). Et autant vous dire, jetez-vous dessus maintenant tout de suite !
Les douze titres de l’albums sont d’une beauté saisissante. Ceux qui avaient pu redouter un virage trop variéteux de Louis-Jean Cormier sans Karkwa seront plus que rassurés : ils seront conquis.
Soit on est pop. Mais on est sévèrement pop. On est salement pop. Le son est gros, brut ce qu’il faut. Les guitares dégueulent en électriques, frottent en acoustique. Les voix, souvent superbement et sobrement doublées par la très jeune Adèle trouvent un langage nouveau, dans lequel on lit les années Karkwa, mais qui ne s’y accroche pas désespérément…
Tout est fait avec un goût précis, touchant, esthète et fier, à des milliards de lieues du son aseptisé et stérile de l’écrasante majorité des sorties françaises du moment (le “moment” en question pouvant remonter très loin jusqu’au début des années 90…). Point ici de fantôme de Gainsbourg, point de l’énième erzatz de Telephone, de Bashung ou de Noir Désir recherché désespérément par… par qui déjà ? Point ici de nostalgies foireuses et cycliques, pas de ce Zeigeist parodique néo-eighties qui plonge nos jeunes gens dans des sons soit géniaux, mais qui restent ceux des générations d’avant… Parce que, oui, tout se passe ici comme si la Francophonie se développait dans une nostalgie d’un futur qui n’en est plus un, puisqu’il n’est qu’un futur antérieur, celui des parents. Les jeunes gens de chez nous qui veulent s’attaquer à la musique pop textuée se vautrent, avec talent soit mais sans surprise, dans le rôle d’héritier toujours-déjà vieux.
L’excellence scolaire n’a jamais empêché l’emmerdement profond.
Les francophones européens avancent à reculons en contemplant les paysages qui s’effacent ; le leur et celui des autres. Et force est de constater que l’on marche très mal et très lentement à l’envers. Les Québecois ont en revanche souvent, à l’instar de Louis-Jean Cormier, cette flamboyance profonde de la jeunesse excitée. En l’occurrence, non pas la jeunesse du musicien, mais celle de la culture populaire, qui face a l’horizon extra-large qui s’offre devant son regard n’a que des choix à faire pour avancer. Et ça fait un plaisir fou – tellement il est rare – de ne pas avoir à choisir entre le son et le texte.
Nuançons malgré tout : le nombre de productions absolument médiocres venues du Québec sont légion (et quelques beauté de France continuent régulièrement d’éblouir nos oreilles). Mais quand on se trouve face à un chef d’oeuvre de ce genre, on les oublie comme on oublie les frites froides de la veille face au soufflé adorable qui nous ravit le palais (à ce sujet, un conseil : lesouffle.fr).
En somme, voilà : nous n’avons pas parlé de l’album… Tant mieux, vous n’avez plus qu’à écouter, en attendant que Louis-Jean Cormier vienne faire un tour par chez nous pour nous présenter en concert les vertiges des hauteurs et l’ivresse que procure ce Treizième Etage…
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