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Certaines n’avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka

Publié le 28 septembre 2012 par Kenza
*°*°* Certaines n’avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka Quatrième de couverture
  L'écriture de Julie Otsuka est puissante, poétique, incantatoire. Les voix sont nombreuses et passionnées. La musique sublime, entêtante et douloureuse. Les visages, les voix, les images, les vies que l'auteur décrit sont ceux de ces Japonaises qui ont quitté leur pays au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis un homme qu'elles n'ont pas choisi.   C'est après une éprouvante traversée de l'océan Pacifique qu'elles rencontrent pour la première fois à San Francisco leur futur mari. Celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui dont elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir.   À la façon d'un chœur antique, leurs voix s'élèvent et racontent leurs misérables vies d'exilées… leur nuit de noces, souvent brutale, leurs rudes journées de travail dans les champs, leurs combats pour apprivoiser une langue inconnue, la naissance de leurs enfants, l'humiliation des Blancs, le rejet par leur progéniture de leur patrimoine et de leur histoire… Une véritable clameur jusqu'au silence de la guerre. Et l'oubli.
  Julie Otsuka est née en 1962 en Californie. Diplômée en art, elle abandonne une carrière de peintre pour  se consacrer pleinement à l'écriture. En 2002, elle publie son premier roman  Quand l'empereur était un dieu (Phébus, 2004 - 10/18, 2008), qui remporte immédiatement un grand succès.  Son deuxième roman, Certaines n'avaient jamais vu la mer, a été considéré dès sa sortie aux États-Unis comme un chef-d’œuvre et a reçu le PEN/Faulkner Award for fiction.  Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau
Extrait
  Le jour nous travaillions dans leurs vergers et leurs champs mais la nuit, dans notre sommeil, nous retournions chez nous. Parfois nous rêvions que nous étions revenues au village, où nous faisions avancer un cerceau de métal dans la rue des Riches-Marchands avec notre baguette fourchue préférée. D'autres fois nous jouions à cache-cache dans les roseaux au bord de la rivière. Et de temps à autre nous voyions passer on objet dans le courant. Un ruban de soie rouge perdu des années plus tôt. Un oeuf bleu moucheté. L'oreiller de bois de notre mère. Une tortue partie de la maison quand nous avions quatre ans. Parfois nous nous tenions devant la glace avec notre grande soeur, Ai, dont le nom peut signifier "amour" ou "chagrin" selon la manière dont on l'écrit, qui nous tressait les cheveux. "Reste tranquille!" disait-elle. Et tout était comme il devait être. Mais à notre réveil, nous nous retrouvions allongée au côté d'un inconnu en un pays inconnu, dans une étable bondée, remplie des grognements et des soupirs des autres. Quelquefois dans notre sommeil l'homme posait sur nous ses mains épaisses et noueuses et nous essayions de nous soustraire à son étreinte. Dans dix ans il sera vieux, nous disions-nous. Parfois il ouvrait les yeux dans la lueur de l'aube, voyait notre tristesse et nous promettait que les choses allaient changer. Et nous avions beau lui avoir lancé quelques heures plus tôt: "Je te déteste" alors qu'il nous grimpait dessus dans l'obscurité, nous le laissions nous réconforter car il était tout ce que nous avions. Il arrivait qu'il regarde à travers nous sans nous voir, et c'était là le pire. Est-ce que quelqu'un sait que je suis ici?
Editions Phebus

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