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SYRIE - Chroniques de la révolution syrienne (XII / XIII)

Publié le 28 septembre 2012 par Pierrepiccinin

Syrie - Chroniques de la révolution syrienne

XII.  Le Prix du pain (Le Soir, 24 août 2012 - 12/13) - Texte intégral       SYRIE--Alep----Juillet-et-aout-2012 0123.AVI.Still002 photo © Eduardo Ramos Chalen (Alep, quartier de Jdédié - 21 août 2012)    par Pierre PICCININ (en Turquie et Syrie – juillet et août 2012)   Le Soir reprend la diffusion des carnets de route de Pierre Piccinin en Syrie. L'historien et politologue belge avait défrayé la chronique en mai après avoir été emprisonné, torturé puis relâché par le régime syrien contre lequel il n’avait pourtant pas montré d’hostilité jusque-là. Il était reparti en Syrie en juillet, mais cette fois avec l’Armée syrienne de libération et à Alep. Revenu quelques jours en Belgique, il est déjà retourné en Syrie. Le Soir publie ses chroniques, en exclusivité. [ Lire: Chroniques de la révolution syrienne (1/6), (2/6), (3/6), (4/6), (5/6), (6/6), (7/13), (8/13), (9/ 13), (10/13) et (11/13) ]

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[photo : avec le Docteur Abdul Samia Ismaël, Hôpital Dar al-Shifaa]

Alep (21 août 2012) – La nuit a été éreintante. Les tirs de mortiers n’ont pas cessé d’ébranler le quartier de Tarik al-Bab où nous sommes hébergés, à l’hôpital Dar al-Shifaa. On les entendait venir de loin ; à leur sifflement caractéristique, on les entendait s’approcher, jusqu’à l’impact et l’explosion.

Jusqu’à hier, je passais la nuit dans une pièce située sous le toit, au dernier étage de l’hôpital. Si un obus venait à y tomber, la dalle de ciment s’effondrerait sur moi. L’idée que cela puisse arriver m’a décidé à retrouver au rez-de-chaussée Eduardo, mon jeune ami photographe, et à squatter un fauteuil où dormir.

Il fait déjà très chaud, ce matin. Et le problème des immondices qui s’amoncellent depuis un mois n’est toujours pas réglé, même si les habitants les brûlent comme ils le peuvent, ici et là. Les médecins en sont inquiets, car le choléra semble avoir fait son apparition en ville. « Nous sommes effrayés à cette idée, m’explique le docteur Abdul Samia Ismaël, car nous n’avons pas assez de médicaments pour lutter contre ce genre d’épidémie. Il faudrait rapidement commencer à nous envoyer des réserves depuis la Turquie... »

Ce matin, nous apprenons que le quartier de Jdédié, où nous avions suivi la veille un groupe de combattants rebelles, est aujourd’hui la cible d’une importante attaque de l’armée régulière. Les rebelles tiennent pour ainsi dire toute la moitié sud-est d’Alep et avaient entrepris de conquérir le centre-ville en encerclant la Citadelle médiévale, dans laquelle trois cents soldats du gouvernement se sont fortifiés. Jdédié, situé au nord-ouest de la Citadelle, constitue la tête-de-pont de cette manœuvre. Mais, depuis l’aube, le quartier est soumis au pilonnage de l’artillerie.

À l’hôpital, les blessés commencent à arriver. C’est une ambiance de débâcle qui s’installe progressivement : les victimes sont nombreuses, les visages sont défaits et les pertes sont telles que des soldats fondent en larmes, peut-être de rage ou de désespoir, plus que de tristesse, car les efforts et leurs sacrifices ont été immenses.

 
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photo © Pierre Piccinin (Alep - 21 août 2012)   

Sur une civière, le corps d’un beau jeune homme de vingt ans, recouvert d’un drap. « Quel dommage », soupire une infirmière qui dévoile le visage du garçon.

Dans la salle des urgences, je reconnais un des miliciens de l’Armée syrienne libre (ASL) qui nous avait accompagnés dans le quartier de Saïf al-Daoula, là où les rebelles tentent d’arrêter la progression de l’armée régulière qui, à l’ouest, a conquis le quartier de Salaheddine qui lui est contigu. Il gît à même le sol, une balle dans la cuisse. Il me reconnaît lui aussi. Je lui prends la main. C’est un homme au regard généreux ; un homme simple, d’un milieu humble ; un homme juste comme on en trouve parfois dans ces circonstances. Il ne se plaint pas. Je m’empare d’un drap que je roule sous sa nuque. Le geste lui semble aller droit au cœur. Il était à Saïf al-Daoula, lorsqu’il a été touché. La situation n’y est guerre meilleure qu’à Jdédié : là aussi, l’armée régulière à lancé une vaste offensive et avance. Là aussi, les pertes sont considérables.

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photo © Pierre Piccinin (Alep - 21 août 2012)   

Mais c’est principalement de Jdédié que les blessés affluent ; il est évident que la défaite n’est plus qu’une question de quelques heures. Nous décidons donc d’aller constater sur place la réalité de la situation et le rapport des forces en présence.

Nous gagnons le quartier de Bab al-Hadid et, par chance, nous y retrouvons le Commandant Abou Amar, avec lequel nous nous étions rendus à Jdédié la veille. Il est étonné de nous revoir à cet endroit. « C’est très dangereux, maintenant, nous dit-il ; on se bat en ce moment. Les journalistes ne vont pas là. » Nous insistons à peine et montons avec lui dans une voiture.

Arrivés aux abords de la place qu’occupaient hier les combattants de Liwa al-Towheed, nous retrouvons aussi le Commandant Khatab, à la tête de la katiba (commando) que nous avions suivie. Leur position, bombardée par des tirs de mortiers, est en outre menacées par trois chars d’assaut qui progressent dans les rues alentours. Nous restons en retrait, le dos collé aux murs de pierres des augustes demeures de la vieille ville d’Alep que font trembler les explosions assourdissantes qui retentissent autour de nous. La fumée et les nuages de poussière qui envahissent la rue sont suffocants.

Un premier char s’avance sur la place. Il tire son obus, qui fait éclater le pignon d’une maison. Un deuxième le suit et s’engage également. Il est suivi par un troisième, qui attend dans la rue voisine de pouvoir prendre à son tour position. Leurs manœuvres sont gênées par l’étroitesse des rues de la vieille ville et les gravats des habitations effondrées sous le bombardement. Un combattant sort soudainement du nuage de poussière qui le dissimulait, un lance-roquette à l’épaule. Il tire. La détonation nous assourdit. Son projectile frappe le char de flanc ; la tourelle se soulève de peu et retombe de côté.

Un autre rebelle, monté sur un toit, tire lui aussi une roquette, sur le troisième char. Nous constaterons plus tard que la roquette a endommagé une des chenilles du char qui, immobilisé, tente de mouvoir sa tourelle ; mais le canon est bloqué par les murs des maisons qui bordent la ruelle. Pris de panique, craignant probablement un second tir de roquette, les tankistes ouvrent les portent arrières et s’enfuient.

Coincé entre ces deux épaves, le deuxième char est également détruit, éventré par un dernier tir de roquette. Pour les rebelles, c’est une grande victoire, acclamée par les « Allah akbar ! ». Nous rejoignons les combattants qui grimpent déjà sur leurs trophées de guerre. Le spectacle des corps déchiquetés que nous découvrons à l’intérieur des deux premiers tanks est insoutenable. Au-delà de l’action, l’horreur de la guerre n’a pas tardé à nous rattraper.

La réaction de l’armée régulière ne se fait pas attendre non plus : un hélicoptère, qui tournait au-dessus de nos têtes depuis le début de l’engagement, mitraille la place ; nous prenons nos jambes à notre cou et nous abritons derrière les larges piliers de pierre d’un portique. Plusieurs miliciens demeurent quant à eux sur la place et mitraillent désespérément l’hélicoptère de leurs légères kalachnikovs. Mais le monstre de métal est hors d’atteinte et lance trois roquettes de suite, qui déchaînent sur la place un enfer de feu et de fumée ; le pavement de pierre, les arbres qui l’ornaient, tout éclate en morceaux projetés partout et des shrapnels déchirent l’air et tout ce qu’ils rencontrent sur leur passage. Les shrapnels sont effroyables : il s’agit de morceaux de métal de la taille d’un doigt qui, au moment de l’explosion, se détachent de la masse de l’obus et se fendillent en d’innombrables lamelles coupantes comme des rasoirs. Projetés dans tous les sens, ils provoquent sur les corps des dégâts épouvantables.

Au moment de l’impact de la première roquette, je me suis instinctivement accroupi, protégeant ma tête de mes deux bras. Je n’ai pas eu le temps de réaliser ce qui arrivait en si peu de temps et sur un si petit espace. Il me faudra quelques minutes pour me relever, les jambes tremblantes, ainsi qu’à Eduardo, complètement assourdi par le bruit des trois explosions. J’avais déjà été bombardé, en Libye notamment. Mais jamais dans l’espace clos d’un milieu urbain.

L’efficacité de ces tirs était à craindre : tous les combattants qui se trouvaient à découvert sont morts où très gravement blessés. Leurs compagnons d’armes les évacuent. Hurlant encore plus fort « Allah akbar ! », comme pour se donner à eux-mêmes le courage de poursuivre la lutte, ils déposent les dépouilles et les blessés dans un pick-up et une camionnette qui les emmèneront à Dar al-Shifaa…

Nous ne nous attendions pas à ce que les choses atteignent ce paroxysme de violence.  

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photo © Eduardo Ramos Chalen (Alep - 20 août 2012)  

L’hélicoptère revient ; il faut se replier dans une petite place adjacente, à laquelle on accède par un long porche.

Là, nous pouvons souffler et nous nettoyer un peu de la poussière qui nous recouvre. L’hélicoptère tourne au-dessus de notre position, mais il ne tire plus. En face, l’attaque semble enrayée.

Les rebelles en profitent pour passer en revue ce qui leur reste d’armement. L’un d’eux sort du coffre d’une voiture des sacs en plastique remplis de cartouches. Patiemment, ils vont remplir leurs chargeurs et rappareiller cartouche par cartouche la bande du seul fusil-mitrailleur dont ils disposent. Encore une fois, je constate que la rébellion manque de tout et bricole de son mieux pour monter au front.

Mais le répit ne dure pas longtemps : des soldats casqués font leur entrée sur la place ; ils courent et sautent entre les paquets de gravats. Les rebelles repartent à l’attaque, dans l’espoir de réinvestir la place. Mais le feu nourri de l’ennemi les empêche de progresser très avant sous le porche, et c’est la fuite désordonnée. Un petit groupe essaie de surprendre l’adversaire en passant par une ruelle latérale ; mais il est lui aussi repoussé par les tirs des mitrailleuses.

Survient cette fois dans le ciel un Mig. Le danger est désormais trop important : s’il bombarde le square où nous sommes réfugiés, il ne restera de cette katiba pas âme qui vive.

C’est l’évacuation générale ; la bataille est perdue : les rebelles montent dans les véhicules disponibles ; le Commandant Abou Amar nous appelle, tandis qu’Eduardo filme la débâcle. Un milicien charge un lance-roquette et, pour couvrir la retraite, tire une salve en direction de la place désormais aux mains de l’armée d’al-Assad.

Le commandant ne nous attendra pas ; il s’enfuit, nous laissant avec la katiba du Commandant Khatab, qui se replie également, à pied.

Parmi eux, un homme parlant anglais nous interpelle : « que faites-vous là ? Vous ne devez pas être ici ! ». Je lui demande qui il est. C’est un journaliste d’al-Jazeera, chaîne de télévision qatarie dont les envoyés spéciaux sont réputés pour leur audace. Il nous dit de le suivre, qu’il va nous sortir de là. Je ne me sens nullement en position « d’être sorti de là » ; j’ai pleine confiance dans les capacités du Commandant Khatab et suis partisan de rester avec la katiba avec laquelle nous avions passé la journée d’hier. Mais l’homme insiste et Eduardo veut quitter le champ de bataille sans tarder. Je les suis, mais le regrette rapidement lorsque je me rends compte qu’il maîtrise à peine la géographie de ce lieu, dont l’ASL ne contrôle qu’un maigre boyau de ruelles qui relient Jdédié aux quartiers en révolution, boyau dont les limites changent en permanence.

À deux reprises, ainsi, nous sommes pris sous le feu de snipers. Et je comprends comment ce crâneur, qui se croyait seul sur les lieux, voulant jouer les donneurs de leçons, nous met à présent en danger. Pire, je m’aperçois qu’il nous entraîne vers Bab al-Nasr, où nous étions hier également, à l’opposé de Bab al-Hadid, où il est sensé nous ramener. Il nous fait ainsi repasser inutilement par la rue al-Qouatli, champ de tir des snipers de l’armée régulière.

Nous la traversons en courant et il nous fait asseoir auprès du groupe des miliciens que nous avions là rencontrés la veille. Un des leurs, Obaida, avait été amené ce matin à Dar al-Shifaa. Il y était mort. C’est Eduardo qui l’avait reconnu, lui et son fils Ahmad, qui combattait à côté de son père et avait lui aussi été blessé. Nous leur apprenons la triste nouvelle. Deux des plus âgés sanglotent. C’était leur voisin et leur ami, depuis toujours.

Ils nous apprennent quant à eux que le jeune Abdallah, seize ans, avec lequel nous avions pris le thé hier, est mort ce matin, abattu par un sniper dans une ruelle du vieil Alep…

Au bout d’un moment, je commence à me demander ce que nous attendons-là. Je manifeste mon souhait de retourner à Bab al-Hadid, qui se trouve à deux pas. La situation est d’autant plus absurde que la katiba du commandant Khatab fait son apparition de l’autre côté de la rue al-Qouatli. Nous laissons là le crâneur d’al-Jazeera et repartons, accompagné d’un des miliciens ; nous retraversons en courant la rue et saluons le commandant. Nous longeons les boutiques du marché aux épices ; leurs volets de bois, clos depuis des semaines, ne sauraient retenir les milles parfums de l’Orient arabe, qui s’exhalent sur notre passage. Peu après, nous atteignons Bab al-Hadid, où nous croisons des miliciens qui ont arrêté deux personnes. Il s’agit de moukabarats, des membres de la police secrète.

Un hélicoptère mitraille le quartier ; il tire une roquette qui s’abat derrière une mosquée ; un épais nuage de fumée noire enveloppe le minaret...

Nous reprenons le chemin de Dar al-Shifaa, où nous accueille mon ami Abdul Rhaman.

Pendant notre absence, de nombreux blessés supplémentaires sont arrivés de Saïf al-Daoula et de Salaheddine, où les dernières poches de résistance perdent pied. L’armée régulière a procédé à de lourds bombardements et les rebelles reculent là aussi.

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photo © Pierre Piccinin (le Commandant Abou Bakri - Alep - 20 août 2012)   

Nous pensons retourner demain à Saïf al-Daoula, où nous nous étions rendus il y a deux jours, et essayer de savoir si le « mur de résistance » que l’ASL avait promis d’y maintenir sera en mesure de repousser les attaques de l’armée régulière. La place est en partie tenue par des katiba de Jabhet al-Nosra, organisation qui n’appartient pas à l’ASL. La katiba Abou Amara s’y trouve ; avant-hier, j’en avais reconnu les combattants, rencontré à Salaheddine en juillet déjà. Or, leur commandant, le jeune Abou Bakri, est soigné depuis ce matin à Dar al-Shifaa : la porte de sa chambre était entre-ouverte, je l’ai poussée et il m’a tout de suite reconnu. Je sais pouvoir compter sur lui pour me faciliter les choses. Nous tenterons aussi de progresser jusque dans Salaheddine, s’il reste des combattants de l’ASL à y accompagner.

   images © Pierre Piccinin (Alep - 21 août 2012)   

Mais, ce qui inquiète plus immédiatement Abdul Rhaman, c’est un hélicoptère, qui décrit des cercles au-dessus de l’hôpital, déjà frappé trois fois de plusieurs roquettes, ces dernières semaines. Les tirs de mortiers qui se sont abattus cette nuit sur le quartier avaient probablement aussi l’hôpital pour cible.

L’hélicoptère ne tirera pas, ce soir ; c’est un autre malheur qui nous attend…

Alors que nous scrutons le ciel, trois explosions rapprochées retentissent. Ce n’est pas très loin de Tarik al-Bab. Probablement à Bab al-Hadid.

Nous nous dirigeons dans cette direction, à pied, en remontant la rue qui donne son nom à notre quartier, jusqu’au rond-point de Shahar. Nous n’irons pas plus loin : un premier véhicule arrive à toute allure et tourne dans Tarik al-Bab, en direction de Dar al-Shifaa. C’est un pick-up qui transporte des blessés, couverts de sang. Puis survient un deuxième véhicule, puis un troisième. D’autres suivent. Ça n’en finit pas. Nous remontons en courant la rue, jusqu’à l’hôpital. Une camionnette qui nous dépasse perd une partie de son chargement : les portes arrière s’ouvrent brusquement et le corps d’un homme glisse sur la route ; à l’intérieur, nous apercevons d’autres corps ; l’un d’eux a le ventre grand ouvert et ses boyaux coulent le long du pare-choc. L’horreur, ce soir encore.

   images © Pierre Piccinin( Alep - 21 août 2012)  

Eduardo filme ; je prends quelques vues, mais je questionne surtout, et je note : un hélicoptère a lancé trois roquettes sur une boulangerie. Il était 19h33, la distribution de pain venait de commencer (assiégée de toute part, Alep manque de farine et, aussi bien dans les zones rebelles que dans les quartiers sous contrôle du gouvernement, le pain est rationné et la population doit attendre plusieurs heures parfois, formant de longues files, avant de recevoir quelques galettes quotidiennes).

Toutes les victimes sont des civils qui faisaient la queue. Ils viennent d’Aghiour, tout à côté de Bab al-Hadid. Ce qui n’est pas cohérent, c’est que cet endroit n’est pas sous le contrôle de l’ASL, mais bien de l’armée régulière ; je ne suis pas parvenu à obtenir le moindre éclairage à ce propos, pas même une explication insatisfaisante. L’hélicoptère se serait-il trompé de cible ? On dénombrera environ quatre-vingts blessés et une quinzaine de morts.

L’état des personnes que l’ont décharge à l’hôpital est indescriptible : les roquettes ont déchiqueté les corps, couper des membres, décapité deux adolescents… Un enfant a perdu ses deux jambes ; il mourra pendant l’opération ; son corps sera déposé avec les autres, sur le trottoir, devant l’hôpital. Ses deux pieds sont placés à côté du corps. La scène est choquante.

Comme à chaque fois, c’est la panique, le chaos, l’embouteillage devant l’hôpital, les cris de détresse, la foule qui se presse et hurle. Certains sont gris de poussière, que des filets de sang colorent. Un homme porte sur son dos sa femme tout ensanglantée. D’autres, des enfants dans leurs bras. Il n’y a plus de place aux urgences, ni dans le hall ; des corps sont étendus sur les marches de l’entrée.

Un homme, soudain, comme fou, pousse des gémissements déchirants : il vient de trouver le corps de sa petite fille, parmi les cadavres entassés sur le trottoir ; elle remue encore…

Tel est donc, désormais, le prix du pain à Alep.

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photo © Pierre Piccinin (Alep - 21 août 2012)   

Les médecins, ce soir encore, sont dépassés. Ce soir, le docteur Yasser est effondré.

Était-ce pire ce soir qu’hier ? Je le crois. Le régime a les coudées de plus en plus franches, plus le temps passe sans que la Communauté internationale ne réagisse aux massacres quotidiens. Il n’hésite donc plus à frapper la population en bombardant les quartiers rebelles.

Ces bombardements et massacres, qui ont pour but, peut-on supposer, de décourager la population des quartiers en rébellion, ont en réalité un effet contraire à celui recherché : ils renforcent la sympathie à l’égard de l’ASL et la haine pour la dictature. Une haine dévorante qui exigera des vengeances impitoyables.

La nuit tombe sur Alep. Les tirs de mortier reprennent sur le quartier. Je suis trop fatigué ; alors, je me coucherai au calme, tout en haut de la tour de l’hôpital. Et que Dieu me protège.

Lien(s) utile(s) : Le Soir

Rapport de Human Rights Watch sur le bombardement du 21 août à Alep   

Alep - carte

Source : La Croix.fr

carte syrie

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