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Savages

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Savages

On n’attendait plus Oliver Stone sur le devant de la scène après toute une série de films soit passablement ratés (W.) soit franchement mauvais (World Trade Center, Wall Street 2). Pourtant, la bande-annonce de Savages arrivait quand même à exciter la rétine et l’oreille. Le film vient confirmer cet état.

Le début fait figure de paradis sur terre. La plage, l’océan, du surf, du beach volley, des filles en bikini, des mecs baraqués, bienvenue en Californie ! C’est ici que Chon et Ben vivent et font un business plus que lucratif : ils vendent la meilleure beuh du monde (rien que ça !!!). Insouciants, ils profitent de la vie et de O., la fille qui partage maison, affaires et amour. Dès le départ, Oliver Stone met en situation un trio amoureux ou plutôt un triolisme. Ici, pas de codes romantiques, pas de jeux de séduction, pas de choix cornéliens à faire, les trois personnages vivent très bien ensemble, sans jalousie ni affrontement. En ne prononçant aucun point de vue moral(isant) et seulement en constatant, le cinéaste nous présente une nouvelle cellule familiale, consciente de son état et de son statut, vivant en toute quiétude. La famille traditionnelle américaine n’a plus sa place dans le XXIème siècle. D’ailleurs, il faut voir avec quel regard le réalisateur pose sur cette entité. Sans cesse détruite par la maladie, le meurtre ou la honte, elle n’a que peu de raison d’être car elle n’arrive pas à se stabiliser, à s’unir et à chercher le bonheur. Mieux encore, il faut également voir la possibilité d’une homosexualité latente entre les deux jeunes personnages principaux, chose d’ailleurs remarquée par un Lado quelque peu dégoûté. Par voie de conséquence, la famille « Chon, Ben et O. » fait figure de structure rêvée, tout du moins, emprunt d’une liberté qui n’a plus l’air d’exciter dans le terreau traditionnel. A ce niveau, Oliver Stone retrouve sa verve contestataire en taillant avec allégresse un pilier majeur de la société et en montrant les différentes possibilités de construction familiales et ce même si cela ne plait pas aux réactionnaires ou aux vieux gardiens de la morale.

La morale, d’ailleurs, est le nerf d’un métrage qui oscille constamment entre le Bien et le Mal dont Ben et Chon sont une parfaite métaphore. Chacun des deux ayant une personnalité à part, et c’est ce qui plait à O., chaque protagoniste va concilier ces personnages dans sa propre identité. Chacun a un ange et un démon et il est bien difficile de les faire cohabiter. S’ils agissent mal, c’est généralement pour défendre une bonne cause ou, au pire, s’acheter une bonne conscience. La frontière entre les deux attitudes est mince et le questionnement innerve le métrage au fur et à mesure de son déroulement. Rien que la signification du titre donnée par les deux camps (les trois ?) renvoie à cette schizophrénie. Puis, le rêve laisse peu à peu place au cauchemar. Welcome to hell pourrait être le nouveau panneau indicateur. Si cette dualité est relativement marquée chez des bad guys rendus terriblement humains grâce aux prestations de haut vol de Salma Hayek et de John Travolta étonnement sobre dans son jeu et exception faîte d’un Benicio Del Toro impressionnant mais frisant la caricature, le parcours émotionnel est plus intéressant chez nos deux héros. En effet, il faut voir de quelle manière Ben, Aaron Taylor-Johnson en beau gosse majuscule, autrefois citoyen du monde philanthrope devient petit à petit une véritable machine de guerre, une bête aveuglée par la vengeance qui n’hésite plus à manier les armes comme il se servait d’un puits en Birmanie. Cet itinéraire est clairement une réussite comparé à celui de son acolyte, davantage bas du front. Ancien Marine en Afghanistan et interprété par un Taylor Kitsch au parfait physique de l’emploi, on était en droit d’attendre de la part d’un cinéaste qui a toujours su crier sa haine des guerres menées par son pays (Salvador, Platoon, Né un 4 juillet) un discours condamnant cette intervention. A la place, il fait du personnage une brute épaisse et cynique qui a été ravagé mais dont l’humanité ne ressort que par intermittence. Le traitement est clairement trop brutal et ne rend pas honneur à un personnage qui s’annonçait passionnant. Mais cette problématique de la morale ne fait pas qu’innerver les personnages. Elles se retrouvent également au détour d’une ligne de dialogue bien sentie ou d’une situation plutôt révoltante. Moins personnelle, elle peut s’avérer être politique. Quel est le niveau de morale lorsque la DEA bafoue les lois territoriales indiennes sous prétexte que les Etats-Unis leur ont toujours appartenu ? Quel est le niveau de morale lorsqu’un contrôle d’identité s’effectue sur la base d’une couleur de peau ? Quel est le niveau de morale lorsque la corruption s’invite jusque dans les plus hautes sphères institutionnelles d’un pays ? Voici autant de questions que le cinéaste pose, sans forcément donner de réponse, mais avec toujours une volonté d’appuyer là où ça fait mal. Et ça fait du bien !

Ce qui fait du bien est également la plastique du film. Oliver Stone, n’en déplaise à ses détracteurs, a retrouvé toute la virtuosité de sa mise en scène. Décadrage violent, montage épileptique, saturation des couleurs, usage du noir et blanc, mixage sonore hallucinant entre bruitage dantesque et bande originale au top (une habitude chez lui), la patte stonienne est bien présente comme aux plus belles heures. Cette mise en scène n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Tueurs Nés dont elle reprend le discours. L’image est le vecteur du propos vindicatif du cinéaste. Par sa violence, elle montre une société en déliquescence, en constante évolution maléfique. Par sa pluralité, elle n’oublie pas de manipuler son spectateur. Ecrans d’ordinateur, technique de carnet de vacances, téléphones portables, les images circulent entre plusieurs régimes, se contaminent elles-mêmes et contaminent ses destinataires dans une démarche que n’aurait pas renié David Fincher, à ce niveau peut-être son héritier le plus légitime. Sont-elles le révélateur d’une vérité ? D’un mensonge ? D’une trahison ? D’un chantage ? Le spectateur de cinéma, tout comme, le personnage, ne sait pas comment les interpréter et le cinéaste, en bon roublard qu’il est, n’hésite pas à en user, peut-être a en abuser quand il surjoue la fin du métrage, pour nous questionner. La réflexion est passionnante et révélatrice d’une société possédée et régie par l’image même si elle s’avère quand même moins poussée que dans son brûlot des années 1990. Quoiqu’on en dise, malgré ses indéniables qualités plastiques interrogatrices, le cinéaste s’est assagi par rapport à ses plus belles années. La preuve la plus flagrante se pose au niveau de la voix-off, bientôt une constante dans le cinéma américain contemporain. Celle-ci, énoncée par une Blake Lively pourtant à son avantage dans son rôle de petite bourgeoise énervante, est présente de façon ostentatoire, tente clairement de nous prendre en otage et explicite un peu trop. Déjà que l’image tend à jouer ce rôle, on n’est pas loin de demander à Oliver Stone de ralentir la cadence sous peine de nous coller une indigestion.

Oliver Stone is back ! Savages se pose comme une œuvre honorable dans la filmographie du réalisateur américain et vient surtout prouver une nouvelle vitalité et une volonté intacte d’égratigner les Etats-Unis. Tant mieux.


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