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Deux conceptions opposées de la ferveur

Publié le 02 octobre 2012 par Philippe Delaide

L'édition récente des Motets de JS Bach dirigés par John Eliot Gardiner à la tête du Montervedi Choir et de the English Baroque Soloists permet une foix encore d'opposer la démarche du chef anglais avec celle de Masaaki Suzuki qui a enregistré ces Motets avec le Bach Collegium Japan il y a maintenant près de trois ans.

Dans leurs versions des cantates on note déjà la différence d'approche. Rien de très original que de mentionner la théâtralité, l'expressivité, les couleurs imprimées par Gardiner avec l'humilité, le strict respect du texte, la fluidité de la ligne, la transparence de la polyphonie, propres à la lecture de Suzuki.

Bach motets Gardiner
Cela étant dit, pour revenir aux Motets, cette différence d'approche se traduit même musicalement par des différences d'équilibre entre la masse chorale et la basse continue par exemple. Chez Suzuki, on note un souci d'équilibre entre les deux, la basse continue exprimant discrètement mais fermement la pulsasion qui cadre l'expression chorale. Chez Gardiner, tout au contraire, la primeur semble très nettement donnée au choeur. Il faut dire qu'avec l'un des meilleurs choeurs baroques au monde, cela est tout à fait tentant de le laisser s'épanouir, s'exprimer, surtout compte tenu la beauté permanente des harmonies des ces Motets.

Le rythme, l'articulation sont également plus marqués chez Gardiner, si bien que certains passages interpellent littéralement tant ils sortent d'une convention qui jusque là était soucieuse de linéarité, de fluidité, sans doute dans une logique de pur respect du texte. Ces motets sont alors "joués", exprimés par un choeur qui théâtralise ces Motets alors que Suzuki cherche avant tout à mettre en lumière la beauté des harmonies, des lignes ployphoniques. C'est un peu, pour faire un parallèle pictural que d'aucuns jugeront peut-être déplacé, comme si on opposait la fougue du trait, les couleurs de Delacroix à la pureté des lignes et des texture, une forme de surnaturel incarnés par Ingres...

Ceci est particulièrement marquant dans le fameux "So nun der Geist" du Motet Jesu, meine Freunde BWV 227 avec l'envolée des sopranos à la fin plus marqué encore, alors que Suzuki recherche avant tout l'homogéneité du rendu.

C'est encore plus marqué avec le Motet Fürchte dich nicht, ich bin bei dir, BWV 228. Le paradoxe est que par cette différence dans l'expressivité, la version de Suzuki paraît notamment bien plus lente alors qu'elle est plus rapide de plus d'une minute par rapport à celle de Gardiner !

On notera enfin la beauté de l'interprétation d'un des Motets les plus achevés : Der Geist hilft unser Schwachheit auf, BWV 226, pour le coup plus convaincante que celle de Suzuki qui, à côté, manque sigulièrement de vitalité et de lumière.

Je pense que finalement les deux versions ne doivent pas s'opposer mais plutôt se compléter. Selon son humeur, on peut aspirer à une version plus exaltée, voire parfois un peu échevelée, mais cohérente et d'une belle ferveur (quel régal que d'écouter ce Monteverdi Choir tout de même !) ou bien, si on est d'humeur plus méditative, recueillie, on peut préférer la plasticité, la poésie douce de Suzuki.

En tout cas, le choix du funambule Philippe Petit en couverture du disque de JE Gardiner, cherchant son équilibre sur le fil avec un air malicieux, incarne une notion de prise de risque, de travail sur le fil du rasoir propre à ce type d'exercice. Un message subliminal ?

Extrait : Motet Der Geist hilft unser Schwachheit auf, BWV 226.

Sinon, pour la version de Massaki Suzuki, je vous renvoie à ma note du 29 mai 2010 où j'avais également attribué un coup de coeur du poisson rêveur.

Logo Coup de coeur Poisson Reveur 4
Coup de coeur du poisson rêveur

JS Bach - Motets - Montervedi Choir - The English Baroque Soilists - Direction John Eliot Gardiner - Label SDG.


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