Papa
Les choses ont toujours été
simples pour moi :
Affalé dans son large fauteuil cassé
Recouvert de cendres,
Papa change de chaîne, reprend
Un verre de whisky, pur, et demande
Ce qu’on peut faire de moi, un petit homme
Qui n’arrive pas à considérer
Les heurs et les malheurs du monde.
Je regarde son visage fixement, d’un regard
Qui fait dévier ses sourcils ;
J’en suis sûr, il n’a pas confiance
En ses yeux, noirs et humides, qui
Partent dans toutes les directions,
Et surtout ses tics, lents et malvenus,
Ne cessent pas.
J’écoute, j’acquiesce
Écoute, avec sincérité, jusqu’à ce que je m’accroche à son T-shirt
Beige pâle, hurlant,
Hurlant dans ses oreilles aux lourds lobes, mais il continue à raconter
Sa blague, alors je demande pourquoi
Il est si malheureux : il répond…
Mais ça ne m’intéresse plus parce qu’
Il a pris trop de temps et de dessous
Mon fauteuil, je tire le
Miroir que j’avais mis de côté ; je ris
D’un rire fort, le sang frémissant depuis son visage
Vers le mien, au point de devenir
Une tâche dans mon cerveau, quelque chose
Qu’on pourrait écraser comme un
Pépin de pastèque entre
Deux doigts.
Papa se reprend un verre, pur,
Remarque qu’il a sur son short la même tâche ambrée
que moi j’ai sur le mien et
Me fait sentir son odeur venant
De moi ; il change de chaîne, récite un vieux poème
Qu’il avait écrit avant la mort de sa mère,
Se lève, pousse un cri, et demande
Un câlin, tandis que je rétrécis, mes
Bras atteignent à peine
Sa nuque, épaisse et grasse, et son dos imposant ; parce que
Je vois mon visage, dans les lunettes
Cerclées de noir de Papa
Et je sais qu’il rit aussi.
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Souterrain
Sous des gouffres d’eau, des cavernes
Peuplés de grands singes
Qui mangent des figues.
Piétinant les figues
Que les singes
Mangent, ils croquent.
Les singes hurlent et montrent
Leurs dents, ils dansent,
Ils dégringolent dans l’
Eau torrentielle,
Leurs peaux, humides et moisies,
Rayonnent d’un éclat bleu.
Barack Obama, deux poèmes de jeunesse, traductions inédites Nicolas Grenier et
David Rochefort
versions originales des poèmes
Pour Barack Obama, la poésie demeure une expérience de jeunesse. À Los Angeles,
il étudie à l’Occidental College, dans lequel il assiste à un séminaire de
poésie, et découvre la poésie de Charles Bukowski et de Sylvia Plath. Dans la
revue littéraire de l’école « Feist », au printemps 1981, il publie à
dix-neuf ans deux poèmes. Dans le poème « Papa », Barack Obama relate
avec humour un souvenir d’enfance avec son grand-père maternel, Stanley Dunham,
quand il grandit à Honolulu, à Hawaii. Le second poème « Souterrain »
présente un décor exotique, dans une « grotte », à l’étroit.
Harold Bloom, professeur à l’université de Yale, décrit les poèmes comme
« pas mauvais », et considère Barack Obama comme un poète supérieur à
Jimmy Carter, « plus mauvais poète américain ».
Alors Président, dans une cérémonie dédiée à la poésie à La Maison-Blanche à
Washington, Barack Obama confie, le 11 mai 2011, qu’ « un bon poème
résonne au plus profond de nous, il nous fait réfléchir et nous apprend quelque
chose sur nous-mêmes et sur le monde dans lequel nous vivons ». Et
d’ajouter que les « poètes ont toujours joué un rôle important dans la
narration de l'histoire de notre pays ».
Après son élection à l’automne 2008, le Président, nouvelle muse politique,
fait le bonheur de la poésie. Poète préféré d’Obama, Derek Walcott, prix Nobel
de littérature, compose un poème « Quarante
Acres », publié dans le magazine Times, en l’honneur de la victoire du
démocrate afro-américain. Un second poème « Un Jeune Noir à l’Aube »
rend hommage à Barack Obama et… Vincent Van Gogh. De même, en affaires
poétiques, lors de la cérémonie d'investiture, Barack Obama choisit une amie
poétesse, Elizabeth Alexander, pour la lecture de son poème « Chant
d’éloge du jour ».
Présentation par Nicolas Grenier.
Traduction par Nicolas Grenier et David Rochefort. Copyright 2012.