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Des œillères

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Des œillèresSymbole. C’est ce qu’on dit de Rachel Corrie, une jeune militante américaine morte écrasée en essayant d’empêcher un bulldozeur  israélien de détruire une maison palestinienne. L’article du Monde est honteusement partisan. Pas un mot de l’Intifada de 2000, des raisons qui poussaient Tsahal a détruire les maisons : démanteler des réseaux terroristes, mener des représailles après un attentat pour tenter d’installer un effet de dissuasion, faire pression sur une famille pour qu’elle empêche son rejeton terroriste d’agir –lui-même ne craint pas la mort-, monter la population contre le régime du Hamas, une organisation terroriste qui détient le pouvoir à Gaza, ne reconnait pas l’existence d’Israël et prône la destruction de « l’entité occupante sioniste »…

Je ne veux pas justifier aveuglément mon pays.

Je veux comprendre. Pourquoi présente-t-on les choses ainsi, sans nuances ? Pourquoi attribue-t-on des rôles, les bons d’un côté, les méchants de l’autre ? Pense-t-on que les lecteurs du Monde se fichent au fond d’une réalité que très peu, en dehors des experts, comprennent vraiment ? Qu’ils veulent un univers expliqué, décortiqué et facile à saisir ?

Serions-nous des enfants, des accros à Harry Potter, incapables d’assimiler la violence et la destruction lorsqu’elle n’est pas sagement rangée du côté des méchants qui le payent toujours de leurs vies à la fin ? Mais ce n’est pas que les médias étrangers. Ici, de l’intérieur, partout, on justifie, on se récrie, on rétorque. Deux attaques en un weekend de jeunes juifs contre des arabes ? Certains lâchent, à juste titre, le terme de terrorisme (tuer par idéologie et en dehors d’une prise de décision démocratique et contestable par l’opinion publique et les instances désignées). Impossible, hurlent les autres, ceux qui ne veulent pas voir que nous sommes nous-mêmes faits de toutes les couleurs de la palette. Et cela n’a rien à voir avec « eux », nos ennemis, ce qu’ils font, ce qu’ils pensent et comment ils réagissent à notre présence. Cela à voir avec nous, ce que nous sommes, la tentation d’intégrisme et de fanatisme qui nous guette à toute heure. Est-ce que vraiment ca existe, les être pétris d’une seule et même certitude ? Des qui n’ont jamais de doutes, qui ne font jamais d’erreurs, qui ne font qu’un seul bloc avec leur idéologie, ne dévient  ni ne changent d’avis, un point c’est tout ? Non, bien sûr que non !

Mais nous sommes de curieux animaux qui détestons par-dessus tout avoir tort, nous tromper. N’est-ce pas quand même plus facile d’admettre la bourde, la gaffe, l’erreur de  jugement, la fausse route que de s’obstiner ? Le monde ne nous y a pas habitués. Depuis toujours il y a les civilisés et les barbares. Qui signifient, je viens de l’apprendre, les étrangers, les sans-connaissances. C’est-à-dire qui n’ont pas la même connaissance, la même pensée que moi. Mais ils ne sont pas différents, non, ils sont barbares.

On est toujours le barbare de quelqu’un

C. était en vacances à Tel-Aviv. Et s’énervait contre les hommes musulmans qui avaient envahi la plage depuis la fin du ramadan. La façon dont ils prenaient possession des lieux ! Dont ils observaient les vacancières ! Dont leurs femmes étaient habillées de la tête aux pieds, jeans et voile pour entrer dans l’eau !

Bien sûr que je la comprends, bien sûr que c’est révoltant. Mais n’est-ce pas là le snobisme occidental qui, plutôt que de se montrer condescendant aujourd’hui avec les « indigènes », c’est moche, c’est vilain, ouh le colonialisme, observe aujourd’hui les « autres » via le monocle bien plus confortable des sacro-saints « droits de l’homme » ? Ce sont des barbares, voyons, l’armée israélienne qui tire sur les enfants ! Pauvre Rachel Corrie, américaine bien née de la côte Est, effrayée par une misère qu’elle n’a jamais connue, incapable de comprendre, à 23 ans seulement, une culture qu’elle ignore, des modes de pensée aux antipodes de la sienne. Elle se dit bouleversée par le danger encouru par les familles, mais ne l’était-elle pas autant par le machisme, la violence, le poids des traditions et du fondamentalisme religieux qu’elle n’a pas manqué de croiser ? Comment a-t-elle pu espérer comprendre un conflit que l’on qualifie pour aller vite de territorial mais qui touche en réalité au clash inévitable entre des mondes si différents, à des sociétés trop éloignées l’une de l’autre, des modes de pensée qui emprisonnent ? Elle n’a pu, évidemment, qu’enregistrer ce qu’elle croyait voir. Et aujourd’hui, on reprend ses textes sur scène, argent comptant, loin, très loin de ce coin-ci du globe et de ce qui s’y passe peut-être vraiment.

Mon doute, ma crainte

A la fac, on m’a beaucoup parlé de poste-modernisme ce semestre. Les auteurs le disent : l’être humain est bien plus angoissé depuis que tout se vaut. Dans les communautés religieuses, m’expliquait cette femme, les enfants sont bien plus sereins. Ils savent comment les choses doivent se passer, ce qui est autorisé et ce qui est interdit. Nous, laïcs, les pensons incapables de respirer. Eux ont des certitudes et dorment probablement mieux la nuit. Je suis libre de tout penser, tout envisager, tout faire. Et alors, parfois, je me tétanise. Est-ce pour cela que je colle facilement des étiquettes ? Les Chinois au Tibet ? Des salauds. Les islamistes ? Des fous dingues. Les Américains ? Des idiots. Les Palestiniens : des martyrs…. Puisqu’on me le dit sur tous les tons, c’est que cela doit être vrai.

Petite, j’étais complètement postmoderniste. Un jour papa, un autre maman, un jour la France et moi-aussi-je-veux-être-catholique-et-me-marier-à-l’église-tu-ne-pourras-pas-m’en-empêcher-d’abord ! un autre Israël à tout va, un jour bourge, un autre pauvre, un jour capitaliste libérale à mort, bande d’assistés, un autre révoltée, merde ! Certaines idées restaient, mais beaucoup se valaient ; rien n’était sûr. J’en ai hérité un regard « en coin » sur les choses, et je l’aime bien, il me sert. Mais je n’y échappe pas non plus. C’est cette copine qui a une certaine idée, bêtement romantique si vous voulez mon avis, du couple. Cette autre qui ne fait pas les bons choix… Quand ca me touche de près, éveille mes préoccupations quotidiennes, mes inquiétudes – ai-je le compagnon que je veux ? La relation dont j’avais envie ? Mes concessions sont-elles normales ou injustifiées ?- je panique. Et je veux imposer mon point de vue, ma ligne de conduite comme la bonne. La preuve, regarde comme on ne se dispute pas, nous, et comment il sera un bon père et un partenaire fiable pendant que toi tu te fourvoies avec ton artiste galeux. Plus question alors, quand je voudrais douter moi-aussi à voix haute, de partager mes questionnements avec ces brebis égarées que je me fais le devoir de ramener à la bergerie. Non, cela écornerait…on dira ensuite que….on s’imaginera que… Je suis incapable de supporter que ces mêmes-là que je chaperonne puissent interroger mon couple, le décortiquer et peut-être en extraire quelque chose que je n’ai pas envie de voir. Je crains tellement le doute inhérent à l’amour, la possibilité, jamais éteinte, de tout défaire et recommencer à zéro… l’éventualité de me tromper.

Pourtant, j’ai perdu, quitté, recommencé. Et m’en suis remise avec aplomb. Mais je place mon besoin de certitudes dans le couple, j’y revis ma terreur enfantine d’un foyer qui explose, je ne tolère que la terre ferme. Comment, alors, juger ceux qui bâtissent leur vie autour d’une idée qui, moi, me parait folle ? Une idéologie, un dogme religieux, un précepte… Qui peut vraiment se targuer d’être libre ? De ne pas être guidé par la peur ?

Autre chose que j’aime bien depuis l’enfance : les métaphores visuelles de mon père. Un triangle qui perd sa base pour m’expliquer leur séparation : les deux côtés –eux, les vilains adultes-ne se touchent plus, mais se rejoignent malgré tout en un point –moi. Et pour figurer la complexité de la psyché : un parking –oui, oui- à plusieurs étages, avec des voitures qui roulent à chaque niveau. Elles ne communiquent pas entre elles mais constituent, ensemble, un système contradictoire et aveugle à son propre fonctionnement.

Ok, d’accord papa, j’aime bien, je prends.

En gros, ce que nous sommes tous invités à faire, c’est de lever la tête du guidon, c’est ça ?



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