Adversité du génie
Quand la difficulté d’être au monde devient force, devient atout.
Bon commençons au début, Anna Roth est documentaliste, mais pas n’importe où, à Princeton grâce à papa maman qui ont oeuvré pour lui procurer cet emploi persuadés qu’ils sont que leur fille est incapable de se débrouiller seule.
Anna est chargée d’une mission bien ingrate, tenter de récupérer les écrits, les documents personnels ayant appartenus à Kurt Gödel le grand mathématicien. Jusqu’à ce jour sa veuve, Adèle, s’est refusée à laisser quiconque voir ou lire le Nachlass archives personnelles du savant.
La vieille dame va user et abuser de la patience d’Anna Roth, acariâtre, moqueuse, vulgaire même par moment, elle lasserait la patience d’une sainte, mais bientôt des liens particuliers vont se tisser, la vieille dame va prendre doucement plaisir à leurs échanges.
Anna offre une présence, une oreille attentive et bienveillante, Adèle de son côté va réveiller Anna en lui donnant le goût de faire face à l’existence et de s’ouvrir aux sentiments.
Elle va nous transporter dans la Vienne des années trente, celle qui chasse le juif, le savant, l’écrivain, la ville où un homme de culture, un scientifique, un savant tombe amoureux d’Adèle une petite danseuse de revue.
Cela pourrait avoir des allures de conte de fées mais c’est sans compter le pied de nez de l’adversité.
Kurt Gödel, cet homme brillant, génial qui publie à 25 ans le théorème d’incomplétude, cet homme est aussi paranoïaque, anorexique, en proie à des hallucinations, et sous la coupe de sa famille à qui il n’ose présenter Adèle.
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Adversité encore lorsque Kurt Gödel tombe malade, lorsque la chasse aux savants le pousse à quitter l’ Autriche et à partir en Amérique. Adèle la fidèle l’accompagne, elle va être son pilier, son soutien, sa femme et son infirmière tout au long des années à Princeton.
Elle qui va recevoir ses collègues, ah les dîners avec Einstein, Oppenheimer ou Pauli ! , elle qui va l’aider à obtenir la nationalité américaine, elle qui renonce pour lui à la maternité.
« Je ne vais à mon bureau que pour avoir le privilège de rentrer à pied avec Kurt Gödel » Albert Einstein
Elle a payé le prix fort mais son amour était immense à la taille du génie de Kurt Gödel.
Adèle est bien la déesse des petites victoires, son combat au quotidien pour porter son fou de mari est extraordinaire et s’appuie sur une capacité à donner tout à fait exceptionnelle.
Premier roman étonnant, passionnant, d’une grande maîtrise narrative, bourré de détails qui rendent le récit d’une crédibilité totale.
Dieu sait que les mathématiques et moi c’est un peu l’huile et l’eau mais là j’ai avancé tout du long avec bonheur.
L’avis de Pierre Assouline
© photo Bruno Charroy /Anne Carrière
Le Livre : La déesse des petites victoires - Yannick Grannec - Editions Anne Carrière