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Dans la presse déchaînée n°4

Publié le 10 octobre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Dans la presse déchaînée n°4Charlie hebdo n°1057 du 19/09/2012 : Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Trois semaines déjà ! Ça parait si proche et si loin à la fois… Il y a tout juste trois semaines, c’est tout juste si on n’accusait pas Charlie hebdo de chercher à déclencher la troisième guerre mondiale rien qu’avec de petits dessins… Depuis, la fièvre est retombée et les caricatures sataniques ont été chassées de nos mémoires de poissons rouges par d’autres sujets plus urgents, comme l’affaire des matches de handball truqué ou la sortie de Copé sur le pain au chocolat… Bref, j’ai décidé de profiter de l’apaisement actuel pour commenter ce numéro si provocant et essayer de refermer un dossier franchement risible à propos duquel les bonnes âmes de la tolérance se sont davantage indignés que les vrais fous de Dieu…

Dans la presse déchaînée n°4

Je m’attendais, au vu du concert de protestations qui a suivi la parution du numéro, à un déferlement rabelaisien et joyeux de blasphèmes allègres. Il n’en est rien : sur la soixantaine de dessins publiés dans le journal, il n’y en a que huit qui représente vraiment Mahomet ! Et encore ! Pour trois d’entre eux, signés par Charb et Luz, il ne s’agit en fait que d’un scène imaginaire d’un hypothétique film anti-musulman : ou bien la légende le précise explicitement ou bien on voit une caméra qui empêche toute hésitation, en tout cas, nous n’avons pas affaire à Mahomet mais à un acteur qui joue son rôle pour le ridiculiser, que ce soit en imitant feu Pierre Mondy, en faisant l’amour avec une tête de porc ou en adoptant la pose lascive de Brigitte Bardot dans Le Mépris. Pour le moment, pas de provocation gratuite, simplement le traitement, dans la veine habituelle du journal, d’un fait d’actualité reconnu, à travers la mise en scène du tournage du film L’innocence des musulmans.

Dans la presse déchaînée n°4

Restent les cinq autres : d’abord, un dessin de Luz représentant Mahomet, tel qu’il a l’habitude de le dessiner depuis le célèbre numéro intitulé Charia Hebdo (qui allait beaucoup plus loin dans le blasphème que ce numéro-là, par ailleurs !) annonçant la liste des « nominés pour le meilleur film anti-musulman ». La situation est paradoxale car on imagine mal le prophète récompenser un film ouvertement hostile à sa religion, mais c’est précisément cette incongruité qui fait le sel de la plaisanterie de Luz : Mahomet n’est pas franchement ridicule, il est juste placé dans une situation improbable en ce qui le concerne. Deuxièmement, Foodz (ou Foobz, je n’arrive pas à bien lire la signature) dessine le prophète qui « s’excuse pour son film lamentable » en affirmant « on m’avait dit que c’était un pub pour la Matmut » : là encore, la situation est impossible, vu que Mahomet, mort il y a 1300 ans, n’a pas pu jouer son propre rôle dans un film et qu’il ne pouvait connaître l’existence de la Matmut. De plus, il n’y a rien d’injurieux à le montrer pleurant, regrettant d’avoir commis une erreur : le but premier de ce dessin n’est pas de ridiculiser Mahomet mais de dénoncer la qualité plus que calamiteuse du film incriminé qui ne dépasse pas celle de la tristement célèbre publicité pour la Matmut mettant en scène les deux pseudo-comiques Chevalès et Laspallier…

Dans la presse déchaînée n°4

Les trois derniers sont inclus parmi les « couvertures auxquelles vous avez échappé » : Charb a dessiné un Mahomet courroucé qui affirme, pour que l’on arrête de « déconner » sur lui, qu’il est juif – il porte même des papillotes pour étayer son propos : là encore, un énoncé volontairement contradictoire et absurde qui ne peut pas ne pas être identifié comme tel et qui a pour finalité de dénoncer le fait qu’il est devenu impossible de se moquer de l’islam en tant que religion sans être accusé de racisme de même que la peur de l’antisémitisme fait qu’il est maintenant très difficile de se moquer d’un juif – Charb, ancien employé de Philippe Val, en sait quelque chose… Il est vrai que ce dessin n’était finalement pas très clair à ce propos, la volonté de condenser le propos à l’extrême ayant pour résultat de brouiller le message : son auteur ne s’y est d’ailleurs pas trompé en optant pour le dessin de couverture définitif, un des meilleurs jamais faits par Charb, qui dit la même chose de façon plus saisissante. Passons rapidement sur le dessin de Riss avec la « une » fictive de Closer sur « madame Mahomet » topless : une fois encore, la situation est impossible, Mahomet étant un homme qui a vécu à une époque où la photographie n’existait pas ; Riss n’a fait que télescoper deux polémiques d’actualité, le film anti-musulman et les photos de Kate Middleton topless. Sorti de ce contexte, son dessin pourrait passer pour une provocation gratuite, mais ce n’est pas le cas. En fait, le seul dessin que l’on aurait pu considérer comme tel est celui de Coco où Mahomet exhibe l’étoile jaune (à cinq branches pour ne pas en rajouter, je suppose) qui cache son anus… Coco est une très grande dessinatrice et ce dessin n’est pas ce qu’elle a fait de mieux, d’accord, et après ? Ça ne fait jamais qu’un dessin sur tous ceux que publie le journal, et de toute façon, quelle commune mesure peut-il y avoir entre dessiner Mahomet dans une position grotesque juste pour rigoler et dépeindre tous les musulmans comme des barbares sans foi ni loi pour les stigmatiser ? Entre caricaturer un prophète et appeler à la guerre sainte, il y a quand même une marge ! Au nom de quoi l’interdit de représenter le prophète de l’Islam devrait-il concerner la société toute entière ? On va nous parler d’un contexte tendu : si la liberté de dérision, et donc d’expression, doit être modulée en fonction du contexte, que devient son caractère absolu ? Et puis justement : le contexte ne justifie-t-il pas lui-même le dessin de Coco, qui avec sa légende « une étoile est née », se réfère explicitement au thème du cinéma et donc au film qui a fait couler autant d’encre et, par la même occasion, le sang de certains ambassadeurs ? Coco n’aurait sûrement pas fait ce dessin s’il n’y avait pas eu ces événements qui l’aurait motivé : il est donc provocant, d’accord, mais il n’est en aucun cas gratuit et rien n’interdit de l’interpréter comme une dénonciation de l’attaque directe de l’islam par le biais d’un film.

Dans la presse déchaînée n°4

Conclusion : Ceux qui accusent Charlie hebdo de provocation gratuite ont mal lu le journal ou ne l’ont pas lu du tout : les dessinateurs n’ont pas cherché à offenser les musulmans mais simplement à traiter, à leur manière habituelle, un thème d’actualité. L’accusation d’avoir cherché à faire monter les ventes avec ces dessins est même franchement malhonnête puisque le film anti-musulman n’est même pas le thème central du journal, contrairement à ce qui s’était passé l’année dernière avec Charia Hebdo : la rédaction a préféré se concentrer sur Manuel Valls, l’affaire Bernard Arnault, le gaz de schiste et autres problèmes d’actualité. L’intention de ridiculiser Mahomet n’est d’ailleurs même pas affichée en couverture, le prophète n’étant pas représenté à la une, preuve que la représentation caricaturale de Mahomet n’était pas une fin en soi pour l’hebdo satirique. Toute cette affaire n’était de toute évidence qu’un prétexte pour essayer de faire taire un journal qui dérange, et je ne m’étonne plus que politiciens et intégristes se soient entendus sur ce terrain… Allez, salut les poteaux !

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