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Reality

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Reality

Gomorra avait impressionné les critiques et les publics du monde entier par sa plongée frontale dans la Camorra, la mafia napolitaine. Matteo Garrone était attendu avec impatience pour son nouveau film. Il est arrivé sur les écrans après un passage au Festival de Cannes 2012 où il a reçu le Grand Prix.

Pourtant, le projet est casse-gueule. L’histoire de Luciano, un poissonnier napolitain qui se croit et se voit en futur héros de la télé-réalité a, certes, quelque chose de réjouissant mais il y a comme quelque chose qui cloche. Reality donne l’impression d’être en retard. Si la télé-réalité est toujours présente sur les écrans de télévision, les starlettes qui en sortent font toujours la couverture des magazines people et les détracteurs sont toujours présents, l’engouement est quelque peu passé. Il n’y a plus de folie populaire autour de ces simili héros comme aux plus belles heures du Loft Story, tout du moins en France, où les candidats étaient attendus comme des messies, les programmes ne sont plus trop aux heures de grande écoute et les principales chaînes de télévision ne produisent plus ce genre d’émissions, laissant la place aux petites structures en mal de popularité et de revenus engrangés facilement et sans scrupules. La satire que propose Reality n’est pas dénuée de sens et s’avère même plutôt bien sentie mais elle a, au moins, cinq ans de retard. Le film pourrait alors perdre un peu de sa puissance évocatrice. Et le spectateur n’est qu’à un pas de se dire que le métrage est un peu vain, presque rance, et que les personnages sont finalement énervants en se faisant avoir comme des bleus après tout ce qui a été dit et réfléchi sur la télé-réalité.

A bien y penser, le discours peut arriver quand même à passer quand on le prend à contre sens. Finalement entrée dans la conscience télévisuelle collective du téléspectateur, la télé-réalité pourrait faire croire qu’elle est devenue inoffensive. C’est faux et le cinéaste nous rappelle qu’elle en fait toujours là. Plus personne ne s’en rend compte mais son pouvoir d’attraction est encore présent. Derrière son statut caché, la télé-réalité cache son existence et se fait sournoise, presque cynique, pour pouvoir happer son téléspectateur. Luciano en est le parfait exemple. Exerçant son métier avec une belle énergie, il n’en a que faire de ces émissions. Tout juste fait-il le casting d’Il Grande Fratello pour faire plaisir à ses enfants. Hélas, la machine va s’emballer et il va sombrer dans une folie des grandeurs, attendant le résultat d’un entretien qu’il croit positif et détruit sa relation avec ses proches. La volonté de célébrité fait tourner les têtes, fait faire n’importe quoi et surtout, elle est toujours là. La télé-réalité a bien réussi son coup. En étant maintenant quasi-invisible, elle a, par le passé, tellement bien marché que les aboutissants (être riche et célèbre à peu de frais, faire valoir son narcissisme, extrapoler son individualisme) sont ancrés dans les strates de la société. Au final, plus qu’une critique de la télé-réalité, Matteo Garrone tire sur la société dans son ensemble qui n’a pas su prendre du recul et qui s’est faîte contaminer bien comme il faut par des valeurs et des comportements futiles et qui échappent à toute humanité et par la dictature du pouvoir de l’image à deux sous. Il faut d’ailleurs voir ce magnifique plan sur Cinecittà, l’usine à rêves romaine, qui ne devient plus un magnifique puits à fantasme artistique tel que Fellini, pour ne citer que le plus célèbre, l’a construit, mais une machinerie industrielle sans âme, sans réflexion, sans dimension.

Ce raisonnement que le spectateur peut construire a une  magnifique cause : la mise en scène. A ce niveau, le cinéaste fait preuve d’une virtuosité éclatante. Le premier plan impressionne, superbe panoramique sur la ville de Naples qui se resserre pour arriver sur une calèche conduisant des futurs mariés. Ils vont arriver dans une immense salle des fêtes où se déroulent plusieurs cérémonies. Luciano est dans l’une d’entre elles. Le propos du réalisateur est clair. Ce qui va arriver à ce personnage peut arriver à n’importe quelle personne que le mouvement de caméra a balayé dans une logique purement hasardeuse, peut-être au mauvais endroit au mauvais moment. Quant au dernier plan, il répond parfaitement au début dans une logique à la limite du cosmique comme pour montrer que le mal est fait, présent et omniscient. La nouvelle réalité innerve bien dorénavant notre monde. Entre-temps, le cinéaste gratifie le spectateur de l’éventail des possibilités d’une caméra. Travellings pour suivre les personnages, plongées et gros plans pour donner une légère atmosphère de genre au moment du crescendo de la folie, visions médiatiques pour suggérer l’embrigadement mental, pas de doute, Matteo Garrone sait y faire. Néanmoins, certains problèmes de rythme au milieu du film sont présents, ce qui a tendance à alourdir la représentation. De plus, les évolutions des différents personnages ne sont pas construites sur un même niveaux (c’est tout bon pour celle du personnage principal qui est linéaire et sans oubli, moins pour ses proches qui agissent toujours de la même façon). Enfin, un léger cabotinage de la part de certains acteurs peut susciter l’énervement à défaut de compréhension et de compassion. Ces éléments viennent clairement ternir l’image de Reality. C’est dommage car le film peut ainsi faire perdre l’adhésion immédiate du spectateur.

Le nouveau film du réalisateur italien aurait pu être un sacré coup de pied dans la fourmilière. Hélas, il se situe dans un entre-deux discursif dans lequel le spectateur a du mal à se placer qui fait que le propos perd au final de sa puissance. Il faut toute la force de la mise en scène pour maintenir à flot. C’est déjà un moindre mal.


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