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Notes sur Chopin (André Gide)

Publié le 11 octobre 2012 par Siheni
Notes sur Chopin (André Gide)
   Peu avant sa mort (survenue en janvier 1951), Gide avait accepté que fût filmée une de ses leçons de piano à une jeune fille, Annick Morice. La séquence devait être intégrée à un film que son ami, le cinéaste Marc Allégret, formait le projet de lui consacrer. Ce film sortit plus tard en salle sous le titre Avec André Gide, 1951. Du temps où elle existait encore, la Sept diffusa cette séquence, l'exhumant de sous la dalle des années. L'on aurait bien aimé, alors, découvrir le film dans son entier, mais enfin, le télespectateur eut droit au moins à l'intégralité de ce fragment, ce qui n'était déjà pas si mal si l'on considère qu'Arte - chaîne initialement  promise à la succession de la Sept -  ne prononce pas si souvent aujourd'hui le nom même de l'auteur des Nourritures terrestres, si elle vient jamais à le prononcer. Mais ne soyons pas chien. 
   Quelle émotion ce jour-là ! Que l'on se rende compte : regarder et écouter dans le même temps le vieux mandarin nobélisé, malade, fatigué, exposant avec une ferveur quasi mystique à sa gracieuse élève l'art et la manière - les siens - d'interpréter le 1er Scherzo (en Si mineur) de Frédéric Chopin (Impossible de ne pas se souvenir, à ce propos, d'une autre séquence, tout aussi mémorable - accessible en DVD chez Warner Music Vision : The Art of Piano -, où l'on assiste à un cours d'Alfred Cortot sur Schumann devant un auditoire ébloui)...
   S'emmerveillant de la beauté de telle blanche, de la subtilité de tel dièse, de la ductilité de tel chant ; aucun doute que Gide ne vénérât le Polonais autant que les Grecs dont il n'avait eu de cesse, sa vie durant, de revenir aux oeuvres (dans le texte) comme d'aucuns à leur bréviaire ; de tels hommes, soyez-en sûrs, n'auront jamais assez le sentiment de vivre qu'ils ne soient sûrs d'aimer l'essentiel de ce qui le doit être.
Notes sur Chopin (André Gide)   
   Gide comprenait trop Chopin pour ne pas souffrir de l'agogique d'exécutions dont son oeuvre faisait trop fréquemment les frais, d'après lui, fussent-elles celles des meilleurs pianistes de l'époque. Et il lui arrivait assez souvent de s'en indigner. Cortot, justement : oh ! illustre s'il en était, et méritant de l'être, qui eût, du reste, songé à le nier ? ; certaines de ses interprétations de Chopin, cependant, laissaient l'écrivain tant soit peu perplexe, peu convaincu, sinon d'y voir bien des clins d'oeil appuyés du mauvais côté (des effets d'une mièvrerie à qui cette musique doit parfois une fausse réputation de guimauve et son auteur, une image de mirliflore efféminé) destinés à se concilier l'admiration d'un public facile. Au lieu qu'Anton Rubinstein (à ne pas confondre avec l'autre, Artur)... Il en eût parlé, si possible, pendant des siècles et plus encore ! Du reste, Gide ne se consola jamais tout à fait de n'avoir pu accompagner sa mère, un soir, à un concert que l'éminente autorité russe, de passage à Paris, donnait chez Pasdeloup ou à la salle Erard (?). Jeunesse oblige, il était temps d'aller dormir.
Notes sur Chopin (André Gide)   
   Bref. Ces Notes, parues la première fois en 1931 dans La Revue musicale et reprises en 2010 par Gallimard intègrent donc la transcription d'une leçon de piano restée fameuse. A en prendre connaissance, nous croyons y réentendre la voix du Maître qui nous avait naguère ému devant notre télé :
   " Ce qui m'embarrasse un peu avec vous, Mademoiselle, c'est que je ne me rends pas très bien compte de ce que je m'en vais pouvoir vous dire. J'ai peur d'avoir à vous dire, avant même que vous n'ayez joué, que des choses très désagréables. Il est certain que ce que je peux vous dire ne va pas du tout dans le sens de la réussite telle qu'on peut l'attendre d'une pianiste ", etc.
   Noter qu'il ne s'agit pas d'un essai, mais d'un ensemble de feuillets et de lettres épars rédigés au fil des années. Le lecteur y trouvera même des fragments du Journal et l'impayable article qu'André Suarès fit paraître dans Les Nouvelles littéraires du 5 mars 1932, intitulé Ames et visages et dans lequel l'auteur du Voyage du Condottiere s'exprime ainsi :
   " Qu'est-ce donc, ce Chopin ? un poitrinaire, qui a la fièvre, qui se déguise en femme pour aller au bal et se pâmer aux bras d'un robuste cavalier. On voit bien à qui cette musique-là peut plaire. Tous ces collégiens nous ennuient. La bonne grosse George Sand n'a pas eu grand-peine à être l'homme du ménage. Chopin pleurniche, et George Sand lui essuie les yeux, en fumant sa pipe. Nocturne à Valldemosa. "
 
André Gide
Notes sur Chopin
(Avant-propos de Michaël Levinas)
Ed. Gallimard. 
 
  

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