Vincent (Tom Cruise) et Max (Jamie Foxx) dans le taxi
Rien de plus facile que de résumer l'histoire: Vincent (Tom Cruise) est un tueur chargé de faire disparaître cinq individus en une nuit. Pour accomplir sa basse besogne, il va se servir de Max (Jamie Foxx), chauffeur de taxi pour qui les rues de Los Angeles n'ont pas de secret, et qu'il rend complice, à son corps défendant, de chacun de ses crimes. Au début du film, Michael Mann nous montre le reflet du taxi de Max à travers les vitres d'un building. L'image dure à peine quelques secondes et pourtant, elle m'a immédiatement fait penser à un autre film, réalisé quarante cinq ans plus tôt (1959) par Alfred Hitchcock: North by Northwest (la Mort aux trousses). Dès le générique, le maître incontesté du suspense nous montrait de la même façon des passants, des voitures, bref la vie urbaine telle qu'elle apparaît dans les vitres déformantes des gratte-ciel de New-York. Si bien que ces vitres sont, pour le spectateur situé à l'extérieur, comme des écrans de télévision placés les uns à côté des autres (en vertu de cet effet-miroir).
Générique de "La Mort aux trousses"
On peut remarquer cependant que Michael Mann s'ingénie à prendre le parti inverse de son grand modèle et de façon presque systématique. Par exemple, si Hitchcock choisit de faire évoluer ses personnages dans une ville très dynamique de la côte Est, à savoir New-York diurne, lieu par excellence du mouvement, de la mobilité, des sièges sociaux des grandes entreprises, M. Mann s'empare d'une ville à bien des égards opposées: située sur la côte Ouest, Los Angeles se définit par la nuit, le rêve, la transgression, les loisirs (les casinos, le cinéma, etc.). En outre, si l'on quitte les lieux pour considérer les personnages, on peut noter que le héros de la Mort aux trousses, Roger Thornhill (Cary Grant), est un homme d'affaires (publicitaire) kidnappé par deux tueurs qui le prennent pour un espion (nommé Kaplan) et que malgré ses protestations, ils veulent éliminer. Collateral déploie encore une fois, un schéma exactement inverse: Vincent est un tueur qui feint d'être un homme d'affaires. D'ailleurs dès la scène d'introduction, le spectateur a l'impression qu'un homme lui a subrepticement dérobé sa mallette en le bousculant, alors qu'en réalité, on vient de lui fournir la liste des cinq cibles à abattre...
Mais dans le fond, j'ai tort de comparer Roger Thornhill à Vincent car les deux personnages n'ont pas du tout le même profil psychologique. Celui-là est un homme ordinaire qui par la force des choses, va évoluer, se dépasser jusqu'à devenir un homme capable de déjouer les pièges qu'on lui tend, trouver des subterfuges pour semer ses tortionnaires, tomber amoureux, bref connaître un beau matin alors que rien ne l'annonçait, une vie diamétralement différente et aventureuse. Thornhill à partir d'un malentendu devient Kaplan, il entre dans la peau d'un espion et découvre qu'il possède des dispositions longtemps ignorées lui permettant d'affronter les difficultés présentes. Vincent, lui, n'évolue pas. Il reste un homme d'action du début à sa fin. En revanche, Max, le chauffeur de taxi, va à l'instar de Roger Thornhill, devoir se transformer pour survivre: devenu l'otage de Vincent dans son propre taxi, il doit imaginer des ruses, des solutions, pour lui échapper ou bien tenter de sauver ceux que le tueur est déterminer à assassiner durant cette fameuse nuit. Max le rêveur, obsédé surtout par la propreté de son véhicule, irrésolu, incapable de réaliser son projet personnel vieux de douze ans, doit désormais improviser, autrement dit devenir un homme d'action. Comment faire ? Il imite Vincent, tout simplement. En somme, Max est le fils illégitime de Roger Thornhill.
Roger Thornhill (Cary Grant) dans "la Mort aux trousses" pris en otage
La scène finale nous offre probablement l'élément le plus fort de ma démonstration. On se souvient que Roger Thornhill tombe amoureux d'un agent du contre-espionnage nommé Eva Kendall (Eva Marie Saint), chargée de devenir la maîtresse d'un affreux personnage, Vandamm, lequel souhaite quitter les Etats-Unis avec certains micofilms contenant des secrets d'Etat. Or Vandamm juste avant de prendre l'avion, apprend de la bouche de Leonard, son second, que la belle Eva le trahit depuis le début... Thornhill qui rôdait autour de la maison, surprend cette conversation, et cherche à alerter Eva. Celle-ci prépare ses bagages à l'étage alors que les deux hommes discutent au rez-de-chaussée. Trois lieux et trois acteurs sont mis en parallèle par Hitchcock: le témoin (Thornhill situé à l'extérieur de la maison), le(s) criminel(s) (Vandamm et Leonard qui discutent au rez-de-chaussée), la victime (Eva Kendall à l'étage). Comment faire pour prévenir Eva sans se faire tuer par les deux hommes ? Max dans Collateral vit à peu de choses près, la même situation. Il s'aperçoit que la cinquième cible de Vincent est tout simplement Annie, la femme qu'il aime et qu'il doit protéger. Il court jusqu'à son lieu de travail, un immense immeuble dont elle occupe le 14e étage. On a donc le même dispositif scénique ou parallélisme entre le témoin (Max à l'extérieur), la victime (à l'intérieur au 14e étage), le criminel (Vincent situé deux étages plus haut). Max regarde les deux acteurs comme s'il était devant deux écrans de télévision alors qu'il s'agit des vitres éclairées d'un building, et le téléspectateur que je suis, regarde Max regardant...
Max tente d'entrer dans l'immeuble pour protéger Annie...
Dernier parallèle: la Mort aux trousses finit dans un train réunissant nos deux héros épuisés, Thornhill et Eva; Collateral s'achève dans le métro avec un mort dans la rame et deux êtres qui s'aiment... On comprend finalement pourquoi Michael Mann a intitulé son film Collateral (en parallèle)... Comment imaginer plus bel hommage ?
Roger Thornhill et Eve dans le train ("la Mort aux trousses")