Tous les lecteurs de comics savent à peu près dans quelles circonstances a été créée Wonder Woman par ce bon vieux William Moulton Marston, psychanalyste, inventeur du détecteur de mensonge, polyamoureux et adepte du bondage. Oui, cela fait sans doute beaucoup pour un seul homme et celui-ci conserve encore de nombreuses zones d’ombre malgré le fait qu’il ai pu inventer un personnage féminin aussi iconique et lumineux que Diana de Themiscyra. Aux origines de Wonder Woman il y a donc un homme et deux femmes, un contexte historique, quelques scandales et une certaine idée de la femme… essayons d’y voir un peu plus clair car croyez-le ou pas, je n’en ai jamais vraiment parlé en détail jusqu’à maintenant.
L’homme derrière l’Amazone
William Moulton Marston est né le 9 mai 1893 à Saugus dans le Massachusetts et décède en 1947 à l’âge de 53 ans (il fut atteint de poliomyélite en 1944 et fini ses jours partiellement paralysé). On peut donc dire que Wondie devient orpheline très tôt. Son livre, « The lie detector » publié en 1938 vulgarise le procédé de son invention, le polygraphe, fonctionnant par l’utilisation du sphygmomanomètre, un dispositif qui mesure la pression artérielle, et d’autres dispositifs déjà existants, grâce auxquels les charges systoliques peuvent être précisément enregistrées (oui bon, ne croyez pas que je sois devenue comme ça une experte en détecteur de mensonge, je me suis un peu documentée). Mais l’homme est également diplômé d’un doctorat en psychologie à l’Université d’Harvard en 1921 et fut professeur à l’American University et à l’Université de Tufts. Utilisant sa méthode avec succès dans le Connecticut, Washington DC et ailleurs, le Dr Marston parvint ainsi à sauver la vie d’un Noir accusé de meurtre. Il contribua également à l’acquittement d’un homme qui avait passé cinq ans en prison pour une condamnation d’assassinat. Fervent partisan de la doctrine psychologique du «vivre, aimer et rire», il avait prédit qu’un temps viendrait où les femmes dirigeraient le pays en politique et dans les affaires.
Marston ne semble pourtant pas être aussi irréprochable que l’histoire semble en faire l’éloge, en effet en 1923 il est épinglé par la police fédérale suite à des difficultés financières, le FBI sera également très critique vis à vis de son invention (lire la page suivante).
L’héroïne aux deux visages
En 1915 Marston épouse Elizabeth « Sadie » Holloway. Mais avant cela, à une époque où peu de femmes sont lauréates de diplômes supérieurs, Elizabeth en obtient trois. La jeune femme ne peut pourtant pas suivre Marston à Harvard, les femmes n’y étant pas autorisées à l’époque. Au lieu de cela elle continue ses études à l’université de Boston où elle sera diplômée en 1918 parmi trois autres lauréates. William et Elizabeth vont ensuite rejoindre le département de psychologie d’Harvard (le programme de doctorat d’Harvard est réservé aux hommes, Elizabeth rejoint le programme de maîtrise de l’établissement voisin, le Collège Radcliffe ). Elizabeth travaille avec son époux sur sa thèse qui porte sur la corrélation entre les niveaux de pression artérielle et le mensonge. Elle eu son premier enfant à l’âge de 35 ans et continua de travailler même après avoir eu ses enfants, chose révolutionnaire pour l’époque. Cette femme volontaire et érudite fut une véritable source d’inspiration lorsque Marston créa le personnage de Wonder Woman.
Lors de ses travaux sur le polygraphe, Marston va faire la connaissance d’une étudiante du nom d’Olive Byrne (on estime leur relation datant du début des années 20), avec qui il va avoir une liaison totalement consentie par sa femme Elizabeth. Marston aura également deux enfants avec Olive, qui seront adoptés par le couple « légitime », à des fins juridiques (Marston avait déjà tout compris pour protéger sa progéniture…)
Olive est la seconde source d’inspiration du psychologue dans la création du personnage de la fière amazone, le port des bracelets en métal lui étant directement imputé (la jeune femme en portait constamment, elle apparaît ici en preneuse de note.)
Dessine-moi une Amazone
En 1940, William Moulton Marston est engagé par DC Comics en matière de consultant, grâce à un article intitulé Don’t Laugh at the Comics publié dans les pages du magazine Family Circle et particulièrement apprécié par Max Gaines. En effet dans cet article, Marston prônait les vertus éducatives des comics souvent snobés par les intellectuels.
Peu de temps après, il fera la connaissance de Harry G. Peter avec qui il va travailler pour élaborer l’aspect de l’héroïne. Par l’intermédiaire de divers billets échangés entre les deux auteurs, Wondie va prendre forme pour finalement apparaître dans les pages d’All Star Comics #8.
- Cher Monsieur Marston, j’ai fait l’ébauche de ces deux dans la hâte. L’aigle est difficile à gérer lorsqu’il est en perspective ou de profil, il n’apparaît pas clairement – Les chaussures ressemblent à celle d’une sténographe. Je pense que l’idée pourrait être incorporée comme une sorte de truc romain.
- Cher Peter , je pense que cette nana avec la main est très mignonne. J’aime sa jupe, ses jambes, et cheveux. Les bracelets et chaussures + ok. Ce sera probablement à travailler + voir d’autres suggestions ci-joint. Pas sur celles-ci. Voir les suggestions jointes pour l’aigle. Je propose des braseros qui peuvent mieux fonctionner dans des bandes courbées ou inclinées – rouge + blanc. Avec des ailes d’aigle au-dessus ou au-dessous des seins comme par-clos? Laissez-vous. N’avons-nous pas à mettre une bande rouge autour de sa ceinture ? Je pensais que c’est ce que voulait Gaines – je ne me souviens pas. Le diadème devra aller plus haut – plus comme une couronne – voir les suggestions jointes. Rendez-vous mercredi matin – WMM.
Le lasso du scandale
Wonder Woman à la base c’est donc un peu tout ça : le charisme et le modernisme d’Elizabeth lié à la beauté d’Olive. L’idée même d’un super héros au féminin fut d’ailleurs imputé à Elizabeth, Marston n’aura fait qu’échafauder et développer ce nouveau personnage au message bien précis. En 1943, dans un numéro de The American Scholar, Marston écrit: « Les filles ne veulent pas être considérées selon l’archétype féminin du manque de force et de puissance. Elles ne veulent pas être des filles, elles ne veulent pas être tendres, soumises, ou éprises de paix comme le font les femmes bonnes. Les qualités féminines sont devenues méprisées à cause de leur faiblesse. La solution évidente était de créer un personnage féminin avec toute la force de Superman plus tout le charme d’une femme belle et bienveillante. »
Selon cette idée bien mûrie, Suprema était née. Car oui au départ Marston baptise son personnage ainsi et c’est Sheldon Meyer, alors réacteur en chef d’All American Comics qui la renommera Wonder Woman.
Nous l’avons vu, Marston va intégrer beaucoup de détails liés à sa vie personnelle pour concevoir son personnage, un accessoire inséparable de l’héroïne sera le fameux lasso de vérité, faisant bien évidemment référence à son invention. Diana utilisera ce lasso dans chacune de ses aventures, maîtrisant et dominant ainsi ses adversaires, mais elle sera elle-même ligotée enchaînée, soumise tellement régulièrement qu’une vague de mécontentement va se manifester, Max Gaines se verra alors obligé de demander à Marston de lever le pied avec ses allusions au bondage.
Dans une lettre datée de 1943, Gaines conseille en effet à l’auteur de réduire de 50 à 75% l’utilisation des chaines dans ses numéros sans que cela interfère sur la qualité de ses oeuvres ni des ventes.
Malgré le succès de la série (et le thème récurrent cher à Marston y est surement pour quelque chose) les critiques et les plaintes fusent comme celles de la Child Study Association of America qui le traitera de sadique. En 1943, un lecteur servant dans l’armée écrit à Gaines : «Je suis l’un de ces hommes bizarres, peut-être malheureux qui tire un plaisir érotique extrême à la seule pensée d’une belle fille enchaînée ou attachée … Avez-vous le même intérêt pour le ligotement et les entraves que moi ?«
Pour sa part, Marston a farouchement défendu sa création, en déclarant dans une lettre à son éditeur : «Ceci, mon cher ami, est la preuve de la grande contribution de ma aande dessinée Wonder Woman à l’éducation morale des jeunes. Le seul espoir pour la paix est d’enseigner aux gens qui sont pleins de dynamisme et de montrer la force de profiter d’être lié … C’est seulement lorsque le contrôle de soi par les autres sera enfin perçu comme plus agréable que l’affirmation de soi dans les relations humaines, que nous pourrons espérer une société stable et pacifique des hommes … Donner aux autres, étant contrôlées par eux, se soumettre à d’autres personnes ne saurait être agréable sans un fort élément érotique. »
A la mort de Marston en 1947, Wonder Woman va rentrer dans les rangs devenant une héroïne polissée, et pour le coup réellement soumise aux différentes idées saugrenues venant de la plupart des scénaristes qui ne savaient sans doute pas trop quoi faire d’un tel personnage. Pendant ce temps, Elizabeth et Olive vont rester ensemble pendant près de 40 ans, élevant les quatre enfants de Marston en totale harmonie. Rien n’est dit sur la nature exacte de la relation entre les deux femmes suite au décès de l’auteur (ou même avant d’ailleurs) mais on peut imaginer que les deux premières résidentes de l’ïle de Themiscyra avaient trouvé la plus belle des manières de protéger les intérêts de leur petite tribu. Elizabeth décédera en 1993 à l’age de 100 ans.
Les origines de Wonder Woman sont donc bien complexes et fascinantes à l’image d’un homme flirtant perpétuellement avec la controverse. Toutes ses réflexions n’étaient pas forcément à prendre au pied de la lettre (personnellement, je ne pense pas que l’on puisse trouver le bonheur dans l’esclavagisme), mais la meilleure idée qu’il ai pu nous faire partager est cette héroïne, objet de tous les fantasmes depuis ses origines, objet également de toutes les visions de l’héroïsme au féminin trop souvent dépeint par des auteurs masculins. A l’heure où l’on parle d’un Wonder Woman Erth One de Grant Morrison qui renouerait en partie avec l’idéal de Marston (oui il va avoir du bondage, nous sommes sauvés), on se rend bien compte qu’il n’y a pas une Wonder Woman, mais bel et bien des Wondie, à chacun d’entre nous d’en retirer le meilleur.