Raisons morales ou raisons de famille,raisons religieuses ou raisons d’état... « Le cœur a ses raisons que la raison ignore », il semble que les grandes histoires d’amour ou les grands mythes fondateurs nous racontent tous la même histoire... Celle de l’homme aux prises avec ses tourments. Voyons par exemple Tristan et Iseut, forcés de se marginaliser et de cacher dans l’épouvantable forêt du Morois pour pouvoir s’aimer, Roméo et Juliette contraints à des « stratagèmes d’outre-tombe », ou encore la belle tragédie de Racine, « Bérénice ».
Titus est empereur et la loi romaine lui impose de renoncer à l’étrangère Bérénice dont il ne peut se passer. Exceptionnellement, pas de morts, pas d’issue fatale dans cette tragédie. Toute la tension de la pièce réside dans la souffrance cuisante et le sacrifice progressif qui consiste pour Titus à accepter un lent travail d’écorchement...
En tant qu’empereur, il lui faut se résigner, supporter, endurer la douleur de voir Bérénice, de savourer sa présence, son discours, sa grâce et en même temps de voir arriver, comme un personnage qui vient annoncer, inexorable, la disparition d’un être cher (Théramène déchiqueté par un monstre dans « Phèdre »), le moment où il faut que les amants se quittent... Définitivement.
« Tristesse majestueuse » de l’acceptation racinienne. La raison de l’empereur et le cœur de l’amoureux roulent sur la poussière du ring racinien, s’indignent et se dressent l’un contre l’autre , toujours soucieux de majesté, dans un affrontement schizophrène. « Pourrai-je dire enfin : « Je ne veux plus vous voir ! » se demande l’empereur.
Lorsque l’irréparable a lieu, comme en toute fin de tragédie (« dans la tragédie, on est tranquille » disait Jean Anouilh), la passion a-t-elle définitivement déserté le cœur de l’empereur ? Finalement, aux yeux du spectateur, rien ne s’est produit ! Mais ce rien a quelque chose de terriblement bovaryen !