A la question qui nous est posée : « Où va la poésie après le 11 septembre 2001 ? », nous répondons par une autre question : « Une telle question se pose-t-elle ? « . Non pas que la poésie ne soit pas atteinte et traversée par ces événements infernaux, puisque « rien du drame de son temps ne lui est étranger » (Saint-John Perse), mais au sens où elle y aurait perdu son chemin et devrait dès lors donner un nouveau cours à sa manifestation fondamentale.
Certes, demander où va la poésie après le 11 septembre présuppose que la poésie continue, qu’elle n’est pas devenue « impossible » ou bien encore « barbare ». Nous ne nous situons donc pas dans la continuité de l’injonction prononcée par Adorno après Auschwitz. On sait d’ailleurs ce que fut la réponse de Paul Celan à l’interdit lancé par le philosophe de « la dialectique négative » : la Todesfuge, puis le poème de leur rencontre manquée (Gespräch im Gebirg) et combien d’autres chants qui affirment « l’irréductibilité de la poésie à toute injonction extérieure » (Enzo Traverso) ; car « il y a encore des chants à chanter au-delà des hommes » (Paul Celan).
Connaissance sensible de la finitude et de son désir d’éternité, elle n’appartient pas pour autant à l’univers des causes et des fins. Ni sagesse, ni folie, elle n’appelle aucun guide pour lui indiquer sa marche. Présente chez chaque être humain, elle ne cherche pas de disciples ; tout juste peut-elle, lorsque l’existant de ce monde laisse soudain entrevoir la faille qui l’abolira, s’inviter en souriant à la ronde de ses amateurs.
Contre la foudre des despotismes et des destructions qui la nient, la poésie dit aux vivants la percevant que son temps peut toujours surgir parmi eux. Survenant alors dans un avant sans nom et sans bruit, loin des épiphanies paisibles et des prophéties nihilistes, elle nous souffle à l’oreille : « c’est grand dommage que tu dormes quand le narcisse est éveillé » (Saadi).
revue Polyglotte n°11, avril 2002.