Magazine Culture

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Publié le 17 octobre 2012 par Modandwa @modandwa

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Du 18 au 15 décembre, entrée libre 5 rue de Lobau 75004 Paris, tous les jours sauf dimanche et jours fériés de 10h à 19h (dernière entrée à 18h15)

On a retrouvé avec plaisir l’Hôtel de Ville de Paris pour une nouvelle exposition, encore une fois, gratuite… donc bondée ! On ne saurait à nouveau vous recommander d’y aller tôt le matin, ou en semaine, pour les chanceux.

Après Sempé et Doisneau, la Mairie s’intéresse non plus au regard posé sur Paris par un individu (aussi brillant soit il) mais à celui de toute une corporation, le cinéma hollywoodien.

Bilan : une furieuse envie de se replonger dans les classiques américains (personnellement, j’ai cédé un dimanche pluvieux à Gene Kelly dans Un américain à Paris, Audrey Hepburn dans Funny Face et Charade, à Marilyn dans Les hommes préfèrent les blondes et à Gigi alias Leslie Caron), de m’acheter une intégrale d’Ernst Lubitsch (Noël approche, ça attendra), envie de déambuler sur les quais de Seine en faisant des claquettes (oui! oui!), de faire du tourisme dans ma ville voire même de visiter la Tour Eiffel (monument pour lequel un bon parisien n’a que mépris)… Ce n’est pourtant pas le seul propos de cette exposition qui, loin de nous livrer une simple rétrospective, nous invite à analyser avec perspicacité la fabrique du Paris de cinéma.

Paris, ville de cinéma

Il existe tant de films hollywoodiens dont l’action principale se déroule à Paris (près de 800) que le film sur Paris semble presque être devenu un genre cinématographique à part entière. L’Hôtel de Ville réunit pour cette exposition près 400 pièces (photographies de tournages, scénarios, affiches, illustrations pour le décor mais aussi costumes) et pas moins de 70 extraits de films qui sont diffusés dans une vingtaine d’écran dont une fresque gigantesque, dans la salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville. Hollywood a été séduit par Paris très tôt. L »exposition retrace plus de 100 ans d’histoire, des débuts du cinéma avec un petit film tourné par Thomas Edison (himself !) sur l’exposition universelle de 1900 à nos jours avec Hugo Cabret et Midnight in Paris. L’exposition est structurée chronologiquement, tout en mettant en lumière, pour chaque époque, des « genres cinématographiques » indissociablement associés aux films tournés à Paris :

- le Paris historique du cinéma muet
- le Paris sophistiqué de la comédie sentimentale dans les années 30-40
- l’apogée du Cancan film dans le Paris de la Belle Epoque, la vie de Bohême
- Hollywood à Paris dans les années 60 : les tournages se déroulent enfin à Paris que ce soit pour des thrillers (l’Etau d’Hitchcock) ou des comédies sentimentales (Charade, Funny Face)
- le retour en grâce de Paris dans le cinéma après une période de désamour, Paris Action !

Paris, ville de cliché

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Une ruelle de Montmartre dans un Américain à Paris

Quelque soit le genre de film qui lui est associé, le Paris sur grand écran apparaît superficiel aux yeux du parisien, elle reste très éloignée de la réalité.

On a l’impression devant certains films que ce Paris de cinéma est une simple succession de cartes postales.

A titre d’exemple, je vous conseille la scène de poursuite d’un très grand film (lorsqu’on le prend au deuxième degré… c’est une très bonne comédie) GI Joe: Notre-Dame, l’Opéra, la Tour Eiffel, la géographie de Paris en est toute bouleversée… et ne s’en est pas encore remise.

Il est vrai que pendant des années la plupart des films n’ont pas été tournés à Paris, il s’agissait alors d’évoquer un Paris idéal, fait de rues pavées, de cafés aux nappes à carreau et de restaurants élégants, de lampadaires Art Nouveau… Ernst Lubitsch décrit ce phénomène en ces termes :

« Il y a le Paris de Paramount et le Paris de la MGM, et bien sûr le vrai Paris. Celui de Paramount est le plus parisien de tous ».

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Un riche appartement "parisien" dans Ninotcka d'Ernst Lubitsch

Ce véritable artisan d’un Paris préfabriqué, a durablement contribué à la construction du mythe. Il réalise ainsi près d’une dizaine de film dont l’action se déroule à Paris sans y tourner un seul plan. L’image de la capitale française se construit à partir de ces films. Paris est souvent associé à l’élégance et au chic, capitale de la mode et du luxe autant que du beau. La ville chez certains réalisateurs conjugue à cet hédonisme l’épicurisme, Paris prend parfois un parfum sulfureux, de fête où l’on se noie dans les plaisirs amoureux et les volutes éthyliques. Ville de romances scandaleuses, le Paris mondain est en même temps une ville populaire et gouailleuse, faite de folklore et de chansons de rue.  Mais Paris est aussi une ville de culture où se retrouvent des artistes sans le sou en mal de reconnaissance vivant au jour le jour.

Tous ces stéréotypes ont transfiguré Paris dans l’imaginaire américain, aussi un américain en visite à Paris peut être déboussolé de ne pas reconnaître cette ville qu’il pourtant si souvent arpenté dans les films.

Paris, ville de fantasme

Un américain à Paris

Un américain à Paris de Vincente Minelli

Dans la célèbre phrase prononcée par Bogart clôturant le mythique Casablanca « Nous aurons toujours Paris », la ville est ici une allégorie de la romance contrariée, devant demeuré un fantasme inassouvi. Paris dans le cinéma est un support aux fantasmes et aux rêves, un exutoire, un espace de transgression (en super 8 ) des limites morales et sociales. Le commissaire de l’exposition Antoine de Baecque résume ce statut particulier de Paris dans le cinéma :

« C’est la ville de toujours qui les intéresse. Ces films nous apprennent moins sur Paris que sur le fantasme américain. Ils nous parlent de tension, de désir, de phobie. Ils nous parlent de l’inconscient américain »

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Sérénade à trois, trio amoureux et célébration de l'amour libre par Ernst Lubitsch

C’est bien l’un des points forts de cette exposition, elle nous invite moins à nous replonger dans de grands classiques ou à redécouvrir Paris, qu’à appréhender la société américaine, ses désirs et ses phobies. On pourrait donc reprendre le classement chronologique et l’associer à des caractéristiques profondes de la société américaine :

- Paris est une ville chargée d’histoire qui fascine cette jeune nation. Paris, berceau de la culture moderne, avec les impressionnistes, cubistes et autres surréalistes qui y ont vécu une vie de Bohême.

- Paris est la ville du badinage amoureux aux yeux d’une société puritaine, le cinéma peut représenter des amours sulfureux en les déplaçant à Paris afin de contrecarrer la censure et de mettre de la distance avec ce type de pratiques scandaleuses dans la société américaine.
- Paris est une ville épicurienne : en pleine période de prohibition, Paris est au cinéma un lieu de débauche et d’alcool.
- Paris est une ville dangereuse, en proie à des attaques terroristes; elle reflète des angoisses d’une nation américaine en plein traumatisme post 11 septembre.

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

La Tour Eiffel détruite par une attaque terroriste dans CI Joe: le réveil du Cobra

Paris n’est pas traité par les cinéastes comme un miroir de la société américaine, elle apparaît plutôt comme une capitale éloignée tant géographiquement que culturellement, créant une sorte d’exotisme parisien.

Paris, ville de culture

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Midnight in Paris et les quais de Seine

Le cinéma hollywoodien s’expose à l’Hôtel de Ville: Paris vu par Hollywood

Les Quais de Seine en 1957 dans Funny Face

Si le regard d’Hollywood sur Paris a évolué, c’est davantage car la société américaine s’est elle même transformé : fantasmes, désirs et angoisses ont quelque peu changé depuis Edison. On retrouve encore les mêmes clichés associés à la ville quelque soit le genre de film ou l’époque à laquelle il est tourné.  Midnight in Paris assume pleinement ce cliché (« Paris est le cliché préféré des Américains » pour Woody Allen), le film joue justement sur la confrontation entre réel et fantasme idéalisé de la ville. Woody Allen choisit de revenir à la ville mythique des années folles et de la Belle Epoque, une ville qui a façonné la culture moderne, et rend hommage aux films américains classiques qui ont contribué à élever ce mythe. Le film est volontairement nostalgique, avec son atmosphère un brin désuète, son trio amoureux ; en période de crise tant financière que morale, on comprend aisément le raccourci thérapeutique et rassurant pour le spectateur américain auprès duquel le film a rencontré un certain succès (miracle pour un Woody Allen).

Cette cohérence et durabilité des stéréotypes sur Paris, diffusés par une culture de masse comme le cinéma, a propagé cette image de Paris auprès de spectateurs du monde entier, et a inscrit la ville dans l’imaginaire collectif. L’image de Paris à travers le monde semble bien avoir été façonné par le cinéma à plus de 9000 km de la capitale française, au travers de 800 films.

Avec cette exposition, Paris se réapproprie son image, celle-là même qui bien que superficielle et inexacte a contribué à faire de Paris, la première ville touristique au monde.

Cette image d’Épinal agace le parisien (déjà facilement irritable !) lorsqu’il est associé au béret/baguette, le flatte une fois qu’il est associé à l’élégance et au chic français. L’exposition contribue à le réconcilier avec ces stéréotypes qui ont fait la renommée de la ville, tout en invitant à repenser et à tisser des liens avec l’ami américain.


Retour à La Une de Logo Paperblog