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Le courtisan et 'l'air de Cour'

Par Richard Le Menn

lairdecourtableaudeparis300lm.jpg Photographie : Chapitre intitulé 'L'air de Cour' du tome III de Tableau de Paris (nouvelle édition corrigée et augmentée de 1783) de Louis-Sébastien Mercier. Le texte de ce chapitre est retranscrit dans cet article.

Le dictionnaire Nicot, Thresor de la langue française (1606) donne la définition du courtisan que voici dans sa langue de l'époque : « Courtisan, m. acut. Est celuy qui suit la court d'un Prince, qu'on appeloit anciennement Curial, de ce mot Latin Curia, et de ce nom est ainsi intitulé un poëme ancien, le Curial, qui contient les preceptes et courtoisie que chacun en droict luy doit garder vivant en la court d'un Prince, l'Espagnol dit de mesmes Cortesano, et l'Italien un peu plus esloignéement, Cortiggiano, et Balthasar de Castillon en a ainsi intitulé son livre depaignant les qualitez du parfaict courtisan, Curial, qui est latinisé, vient de Curia, mais les trois autres viennent de Cohors, vir cohortalis, Si on le peut dire, comme, auis cohortalis en Columelle. »

Le courtisan est donc attaché ou fréquente une cour et en particulier la cour du roi de France. C'est le cas aussi pour la courtisane, du moins au début de l'utilisation de ce mot. Ensuite on lui préfère l'expression de 'dame de la cour' ou de 'dame de qualité' (on dit aussi 'homme de cour' et 'gens de cour'). Le nom de courtisane est alors employé pour désigner une femme qui vend ses charmes. Un homme qui courtise (une femme …) est aussi appelé un courtisan.

Les courtisans servent de modèles pour les gens et la mode. Le Pasquin de la cour pour apprendre à discourir & s'habiller à la mode (1622) est une petite satire courte (un pasquin) relatant la façon d’être à la mode à la cour. On y apprend beaucoup de choses sur les noms d’habits et autres usages chez ces hommes de cette époque. Dans son tome III de Tableau de Paris (nouvelle édition corrigée et augmentée de 1783), Louis-Sébastien Mercier écrit un chapitre sur 'L'air de Cour' (photographie) que voici : « La cour est le centre de la politesse, parce qu'elle y donne le ton des usages & des manières. L'air de cour s'imprime dans un garçon de la chambre, dans un petit contrôleur ; & à l'instar des grands seigneurs, ils affectent une contenance modeste, puis reparaissent fiers & superbes. Les valets prennent un ton qui partout ailleurs serait l'excès du ridicule. On marche des épaules à la cour. Le courtisan salue légèrement, interroge sans regarder, glisse sur le parquet avec une légèreté incomparable, parle d'un ton élevé, préside aux cercles jusqu'à ce qu'il paraisse un nom qui le réduise au ton général. La politesse de la cour est-elle si renommée, parce qu'elle vient du centre de la puissance, ou parce qu'elle provient d'un goût réellement plus raffiné ? Le langage y est plus élégant, le maintien plus noble & plus simple, les maximes plus aisées, le ton & la plaisanterie y ont quelque chose de plus fin ; mais le jugement y a peu de justesse, les sentiments du cœur y sont nuls ; c'est une ambition oisive, un orgueil prêt à faire des bassesses, un désir immodéré de la fortune sans travail, une crainte servile de la vérité. Là on redoute la vertu du prince ; on lui souhaiterait des vices, on n’espère qu'en ses faiblesses ; & ce vernis séduisant qui masque l'attitude & orne la parole, cache la flatterie & l'effronterie d'un cœur corrompu. Parmi le nombre des courtisans se mêlent des aventuriers qui se lancent dans la foule, sont partout ; publient les nouvelles indifférentes. Voyez leurs courses précipitées ; ils vont, viennent; que veulent-ils ? que demandent-ils ? On n'en sait rien ; ils mourront sans rien obtenir. Le courtisan qui vous a salué dans la rue , ne vous reconnaît plus au lever ou à la messe. Que de gens ont broyé inutilement le pavé de la route de Versailles ! Plus d'un courtisan meurt éthique devant l'objet qu'il poursuit & qu'il adore. Ces courtisans oisifs que l'intérêt dévore, / Vont en poste à Versailles essuyer des mépris, / Qu'ils reviennent soudain rendre en poste à Paris. / Volt. Le jour que l'on nomme un ministre : c'est le plus grand génie qui ait jamais existé ; rien n'égale sa pénétration, son désintéressement ; l'éloge est outré ; il ne peut l'entendre sans rougir, tout retentit de ses louanges. A quelque temps de là il chancelle ; le dédain, le blâme, l'aigreur attaquent sa personne & ses opérations. On n'a plus rien à attendre de lui, on le déchire avec fureur. Le ministre le lendemain de sa nomination se trouve, des parents qu'il n'a jamais vus, & des amis qu'il ne connaît pas. On démêle sur toutes ces physionomies de cour, l'inquiétude que tout l'apprêt du visage ne déguise pas parfaitement ; le ris n'est pas vrai & les caresses sont contrefaites. Le courtisan s'exerce en tout temps à nuire à la réputation de ceux qu'il ne connaît pas, pour savoir mieux nuire à la fortune de ceux qu'il connaît. Cela s'appelle pelotter en attendant partie. »

Le courtisan, de par son statut et sa fréquentation se doit d'être élégant et raffiné. Celui du XVIIe siècle est un personnage tout aussi habillé que la dame de qualité bien que de vêtements différents (voir l'article La Dentelle et l'habit masculin). Les courtisans portent autant de dentelles, de rubans et d’habits fins que les dames de qualité ; tellement que les rois essaient parfois de restreindre ces usages quand ils participent à la fuite de l'argent du royaume dans l'achat de produits étrangers. Voir à ce sujet l'article intitulé Edits de Louis XIII imposant aux français une mode plus sobre. Dans Des Mots à la mode et des nouvelles façons de parler … (1692), François de Callières (1645-1717) explique quelques-uns des arts des courtisans : manières de nouer les cravates et rubans, de porter les perruques jusqu’à la ceinture, d’agencer meubles, bijoux, babioles, « de régler tous les ustensiles d’une toilette, de bien choisir & de bien ranger des porcelaines, des miroirs, des lustres & des girandoles, du choix de leurs boucles & de leurs agrafes de diamants, de leurs bagues, de leurs étuis, de leurs petits flacons de poche, de leurs boîtes à vapeurs, à pastilles, de leurs cannes garnies d’or et de pierreries, & surtout du choix important de leurs tabatières à ressort, & de la manière ingénieuse de les ouvrir, & de les refermer d’une main, ainsi que de celle d’y prendre du tabac de bon air, pour me servir de leurs termes, de le tenir quelque temps entre leurs doigts avant de le porter à leur nez, & de renifler avec justesse en l’y recevant ; enfin de tout ce qui compose ce noble exercice que nous voyons aujourd’hui si florissant en France, & qu’on a appelé plaisamment l’Exercice de la Tabatière … » A cela s’ajoute de nombreuses manières de langage dont c’est le sujet du livre. On retrouve certains des courtisans dans les cabarets, les maisons de jeu et autres lieux de plaisirs. Mais c’est une caricature, et tous ne sont pas comme cela. La plupart sont versés dans la vraie politesse, très cultivés, aimant les cercles, fréquentant les ruelles (voir l’article Les Précieuses et les femmes de lettres), versés dans les sciences, les arts, la politique … : « il y en a plusieurs de grande qualité qui sont très sages & très polis », issus de familles illustres, versés dans la chevalerie ... Évidemment, les armes sont la grande occupation des courtisans qui sont des nobles et donc des gens de guerre. Voici quelques autres passages de ce livre : « de savants, de sages Courtisans, / On en voit de polis, de fins, de complaisants, / D’habiles, de discrets, d’enjoués, d’agréables, / On en voit de galants, tendres, touchants, aimables, / Qui font naître partout la joie & les amours / Toujours cherchant à plaire & qui plaisent toujours. Mais on y trouve aussi bien des âmes communes … »

  © Article et photographie LM


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