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L’Encyclopédie Audiard : du brutal, mais indispensable !

Publié le 19 octobre 2012 par Savatier

L’Encyclopédie Audiard : du brutal, mais indispensable !Michel Audiard ne se faisait aucune illusion sur le mépris qu’il inspirait au monde intellectuel de son temps ; il avait dit un jour : « L’idéal, quand on veut être admiré, c’est d’être mort. » L’Histoire lui a donné raison car, si le succès populaire lui était déjà acquis de son vivant, depuis sa disparition en 1985, celui qui fut sans doute le dernier grand dialoguiste du cinéma français fait l’objet d’une réhabilitation – en d’autres termes d’une reconnaissance critique. Celle-ci n’est, finalement, que la réparation d’une injustice…

Les amateurs et les admirateurs possèdent déjà dans leur bibliothèque le fort volume Audiard par Audiard (René Château – La Mémoire du cinéma français, 1995) et Le Dico flingueur des Tontons de Stéphane Germain (Hugo et Cie, 2011, dont il avait été question dans ces colonnes). Ils pourront désormais y ajouter L’Encyclopédie Audiard (Hugo et Cie, 288 pages, 24,95 €) du même auteur, lequel s’impose aujourd’hui comme le spécialiste du Maître – un passionné.

Il fallait en effet l’être pour passer ainsi au crible l’œuvre d’Audiard, soit plus d’une centaine de films et d’une dizaine de livres ; passionné, mais pas idolâtre, car Stéphane Germain, loin de sombrer dans le piège hagiographique, n’hésite pas à souligner les faiblesses de certains textes, le caractère alimentaire de quelques films et les petits travers de celui qui fut à leur origine. L’ouvrage, remarquablement documenté et richement illustré, se divise en quatre parties.

La première, intitulée « La Mécanique Audiard », s’intéresse à l’écriture, c’est-à-dire aux procédés littéraires, aux « ficelles » du métier, à la musicalité, à l’humour, au vocabulaire présents dans les dialogues, à leurs sources parfois érudites (Bossuet, Céline, etc.). Cette étude aborde également les thèmes récurrents dont le dialoguiste aimait à émailler ses textes, comme les clandés, l’Indochine, la Gestapo française et ses tristes baignoires. Ce qui donne quelques perles grinçantes et politiquement incorrectes au regard des susceptibilités ridicules d’aujourd’hui, comme cette remarque de Michel Serrault (Carambolages) : « Vous êtes trop jeune, vous n’avez pas connu la rue Lauriston. Une époque ! Et puis il y a eu 1945, la canaille dans la rue, la pagaille… Dans un pays, quand on s’attaque aux sanitaires, c’est forcément la pagaille » ou cette autre (Fleur d’oseille) : « Il était garçon de bain rue Lauriston ».

L’Encyclopédie Audiard : du brutal, mais indispensable !
Car il y a bien un style Audiard, facilement identifiable, subtil assemblage de références littéraires et de langage populaire, épicé d’une pointe d’argot, que l’on retrouve d’ailleurs dans ses livres dont de nombreuses phrases trahissent une évidente communauté de plume avec ses plus belles répliques. Il suffit de lire cet extrait de Vive la France (Julliard, 1973) relatif à la fermeture des maisons closes pour le constater : « La fermeture des taules aura des répercutions dramatiques. On ne plonge pas impunément les vieillards dans l’angoisse et la jeunesse dans le désarroi. » Voilà qui n’aurait pas été incongru dans la bouche de Bernard Blier. L’approche textuelle de Stéphane Germain, menée avec finesse, semble la première du genre ; elle présente un réel intérêt pour les cinéphiles et les amateurs.

La deuxième partie traite d’Audiard écrivain, aussi bien celui de médiocres polars des années 1950 que du beau et sombre roman La Nuit, le jour et toutes les autres nuits, voire du polémiste de Vive la France. Une façon de rendre hommage à un artiste lettré (grand amateur des romans de Céline) qui plaçait très haut la littérature dans son échelle de valeurs.

Sans conteste, la troisième section est la plus importante, puisqu’y est analysée, commentée, disséquée la centaine de films où Michel Audiard intervint, comme scénariste, dialoguiste ou cinéaste. A raison d’une fiche par long-métrage, l’approche est bien encyclopédique, car rien ne manque, de la distribution au synopsis, de la remise de l’œuvre dans son contexte aux anecdotes qui y sont liées, sans compter la mise en exergue de phrases cultes. Un travail détaillé de recherches remarquable qui s’apparente aussi à une leçon d’humilité pour les aficionados qui découvriront vite l’étendue de leurs lacunes ! Car, si l’on croyait connaître Audiard, on apprend beaucoup, au fil de ces pages pertinentes et divertissantes. Avec lucidité, Stéphane Germain sait porter sur cette production pléthorique un regard critique ; il souligne les abus, met en lumière les excès de facilité et dénonce nanars et navets.

L’Encyclopédie Audiard : du brutal, mais indispensable !
Chaque film est ainsi noté, d’un panneau « sens interdit » pour les productions à ignorer à une signalétique « 5 étoiles » pour les chefs d’œuvre. Ce classement reste bien entendu subjectif, et l’on peut ainsi se demander pourquoi le sympathique (mais seulement sympathique) Fleur d’oseille emporte 4 étoiles (catégorie « immanquable »), à égalité avec Le Baron de l’Ecluse et Les Grandes familles alors que Le Gentleman d’Epsom n’en recueille que 3 (catégorie « solide »). On peut aussi trouver curieux que Le Président ne se voit pas attribuer 5 étoiles alors qu’elles sont accordées à Ne nous fâchons pas, plaisant, mais dont la portée semble bien moindre. Il n’empêche, la plupart des films classés dans la catégorie « chef-d’œuvre » emporteront la conviction du lecteur, puisqu’il y rencontrera, notamment, Le Cave se rebiffe, La Métamorphose des cloportes, Mortelle randonnée, Un Singe en hiver et, naturellement, Les Tontons flingueurs.

Ces chefs-d’œuvre, d’ailleurs, présentent un caractère commun : les dialogues d’Audiard y sont servis par un certain nombre d’acteurs pour lesquels, parfois, ils furent taillés sur mesure. C’est à ces acteurs qu’est donc consacrée la quatrième partie de l’ouvrage, à bon droit intitulée « Les Grands diseurs d’Audiard », où l’on retrouve, par ordre alphabétique, de très grands comédiens (Jean Gabin, Bernard Blier, Michel Serrault, Lino Ventura, Françoise Rosay, etc.) et d’extraordinaires seconds rôles, comme Robert Dalban, Noël Roquevert, Paul Frankeur ou André Pousse.

Voilà donc un livre indispensable à la compréhension de l’œuvre d’Audiard, qui sut, souvent mieux que ses adversaires de la Nouvelle vague, peindre l’atmosphère si particulières des années 1950-1980 – une atmosphère qui, sans lui, finirait par tomber dans l’oubli. Toute une époque !

Illustrations : Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo et Noël Roquevert dans Un Singe en hiver - Jean Gabin dans Le Président.


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